Jonathan Progin est rédacteur à «Finanz und Wirtschaft» depuis décembre 2022. Photo : Goran Basic

Actuel – 06.02.2024

La corrélation Google

Avec sa Digital News Initiative (DNI), Google a soutenu des projets numériques d’entreprises médiatiques européennes avec un total de 150 millions d’euros. Les médias suisses en ont également bénéficié. Jonathan Progin s’est interrogé sur l’impact de cela sur la couverture médiatique de Google.

Par Bettina Büsser

Dans ton travail de master*, tu as examiné si Digital News Initiative de Google influence la couverture médiatique en Suisse. Pourquoi ?

Jonathan Progin : La politique des médias, le journalisme sur les médias et la numérisation des médias m’intéressent. J’ai toujours suivi de près les géants technologiques et je me suis également intéressé à la Digital News Initiative (DNI) de Google. Il y a des médias suisses qui ont reçu des fonds DNI de Google. On en parle trop peu. Je voulais voir s’il y avait des effets de ces paiements sur la couverture médiatique.

Comment as-tu procédé ?

J’ai choisi deux groupes de médias suisses alémaniques. L’un comprend «20 Minuten», «Blick», NZZ, «Tages-Anzeiger», «Aargauer Zeitung», «bz Basel», «Berner Zeitung» et «Bund», dont les éditeurs ont reçu des fonds DNI de Google. L’autre groupe inclut la SRF, «Swissinfo», «WoZ» et «Weltwoche», qui n’ont pas reçu de fonds DNI.

J’ai analysé des articles de ces médias obtenus de la base de données médiatique suisse. Pour les sections mentionnant «Google», j’ai utilisé une analyse de sentiment, qui permet de déterminer automatiquement la tonalité des articles. C’est un comptage informatisé de mots à connotation positive, négative et neutre. J’ai ainsi analysé plus de cent mille sections parues sur plusieurs années.

Quels ont été les résultats ?

J’ai trouvé un effet, une corrélation : le groupe de médias suisses alémaniques dont les éditeurs ont reçu de l’argent de Google a eu tendance à parler plus positivement de Google que le groupe n’ayant pas reçu d’argent. Cependant, il n’y a pas de causalité, car elle ne peut être déterminée avec ces données et cette méthode. Je ne peux donc pas dire que les médias soutenus ont parlé positivement de Google à cause des fonds DNI. Le résultat n’est pas très robuste. Mais j’ai pu démontrer une corrélation.

Les journalistes travaillant dans des médias soutenus par DNI seraient sûrement très en colère si on leur suggérait qu’ils aient parlé positivement de Google pour de l’argent.

Je n’ai jamais prétendu que cela s’était produit ou qu’on ne pouvait plus parler librement de Google dans un tel média. Je ne le crois pas non plus, car il n’y a aucun signe en ce sens. Mais je pense qu’il faut être conscient qu’un programme de soutien d’un géant technologique aussi puissant et ancré dans l’industrie des médias peut potentiellement poser un problème. Nous devrions le surveiller et le considérer avec critique.

Pour mon travail, j’ai parlé avec le journaliste Alexander Fanta, qui a publié en Allemagne avec Ingo Dachwitz l’étude «Medienmäzen Google»**. Fanta soupçonne que le soutien de Google peut conduire à une autocensure chez les journalistes. Dans l’étude, il a décrit que la séparation entre rédaction et édition devient plus perméable, car les innovations pour le journalisme doivent être développées avec la participation des rédactions.

Ton travail de master n’a guère été thématisé par les médias.

J’ai résumé grossièrement les résultats sur Twitter, car je voulais atteindre en premier lieu les personnes intéressées par le sujet. Mon travail complet est accessible à tous. Je ne m’attendais pas à un grand écho dans les médias. Ce n’était pas non plus l’objectif. Peut-être que les médias n’aiment pas trop écrire sur les flux financiers de Google vers les éditeurs. Il y a bien sûr des exceptions. Mais dans le secteur, les fonds sont probablement déjà un sujet.


*Jonathan Progin : «Don’t be evil, Google. Effets de l’initiative Digital News de Google sur la couverture médiatique en Suisse », mémoire en science politique à l’Université de Zurich, Zurich, 2022

**Ingo Dachwitz/Alexander Fanta : «Medienmäzen Google. Comment le conglomérat de données courtise le journalisme», un projet de la Fondation Otto Brenner, Francfort-sur-le-Main, 2020

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