Trop de déontologie tuerait la déontologie. Six mois après le flop lié à l’arrestation d’un faux Xavier Dupont de Ligonnès en Ecosse, la presse française s’interroge sur la création d’un nouvel outil de contrôle. Membre du Conseil suisse de la presse, Dominique von Burg nous livre son analyse.
Par Alain Meyer
Depuis l’annonce de l’introduction d’un nouveau Conseil de déontologie journalistique et de médiation, les rédactions françaises sont divisées. Le travail médiatique devrait-il être à l’avenir davantage supervisé par le grand public ? La vox populi aurait-elle le droit de juger les journalistes en cas de fautes professionnelles graves ? Ou ces rappels à l’ordre ne sont-ils crédibles qu’énoncés par des pairs ? Si ce nouveau Conseil de déontologie se contentera d’avis sur les pratiques journalistiques et n’émettra aucune sanction, force est de constater que beaucoup de journalistes le jugent futile, d’autant qu’existe déjà un Observatoire de la déontologie de l’information.
« Rendre des comptes à nos lecteurs, nous le faisons déjà quotidiennement », s’est insurgée par exemple en décembre dernier dans Le Monde Ellen Salvi, membre de la société des journalistes du site français d’informations en ligne Médiapart. Chez ses confrères du Figaro et du quotidien Le Monde, on estime qu’il pourrait s’agir là d’une « fausse bonne idée » à l’apparence légèrement scabreuse d’un « code d’appréciation morale ».
A l’ombre d’un couac
L’instigateur de ce nouveau Conseil, le journaliste Patrick Eveno, évoque « un instrument de dialogue et de confiance du public dans les médias ». Lui-même a tenu ce discours quelques mois après la fausse arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès à l’aéroport de Glasgow le 11 octobre dernier. Ce soir-là, chaque média d’outre-Doubs y était allé de ses breaking news, tandis que l’homme arrêté en Ecosse n’avait en réalité rien à voir avec le fugitif présumé accusé d’un quintuple meurtres en France. Une information pourtant relayée en prime time sur tous les médias hexagonaux. Alimenté par des sources erronées et un jeu de fausses pistes, ce couac a effrité la crédibilité de la presse. D’où cette propension à vouloir créer une nouvelle instance d’autorégulation, supposément indépendante de l’Etat, dont les avis seront émis par un collège réparti à parts égales entre journalistes, éditeurs et grand public.
En Suisse, le Conseil suisse de la presse (CSP) remplit cette tâche en tant que principale instance de recours pour toutes les questions liées au respect de la déontologie. Et tout le monde, y compris le grand public, peut saisir cet organe. Mais si saisir le CSP est une chose, juger du bienfondé d’une plainte ou d’un recours en est une autre. Le CSP est composé de quinze journalistes et de six représentants du public, tous adoubés par le Conseil de Fondation du Conseil, lequel regroupe les organisations de journalistes, les associations d’éditeurs, les rédacteurs en chefs et la radiotélévision de service public.
Aide d’urgence
Pour Dominique von Burg, président de la 2e chambre du CSP, « il est capital que les journalistes prennent soin de leur crédibilité, notamment à travers le respect de règles professionnels ». A fortiori à l’heure où tout le monde peut s’adresser au public via Internet. L’ancien rédacteur en chef de La Tribune de Genève lance cet avertissement : « Le jour où le journalisme ne sera plus jugé crédible, il aura perdu sa raison d’être. Mais le vrai risque réside dans la perte de compétence qui guette les rédactions, lesquelles, pour des raisons économiques, se réduisent comme une peau de chagrin. D’où l’urgence d’une aide renforcée aux médias », plaide-t-il. Même une aide directe, selon lui.
« Notre conseil n’exerce aucun contrôle préalable sur les rédactions. »
« Avez-vous l’impression que les journalistes de l’audiovisuel subventionnés par la redevance soient moins critiques que les autres ? », assène-t-il. Quant aux craintes d’un retour à davantage de moralité dans les prochaines années dans les milieux de la presse en France, Dominique von Burg ne s’en formalise pas: « Ces avis critiques ont toujours existé en France, où règne une certaine méfiance par rapport à ce qui pourrait être un Conseil de l’Ordre. »
« Pas un tribunal ! »
En Suisse, les garde-fous sont-ils suffisants pour éviter un couac aussi retentissant que celui lié à l’affaire de Ligonnès? Dominique von Burg ne souhaite pas s’immiscer dans ce débat : « Notre Conseil n’exerce aucun contrôle préalable sur les rédactions », résume-t-il.
« Le CSP n’est pas un tribunal ! C’est un organe d’autocontrôle à disposition du public. Il nourrit la réflexion déontologique dans un monde médiatique en évolution permanente. » Et de rappeler que dans notre pays, ce sont les journalistes qui avaient eux-mêmes créé, dès 1977, leur Conseil de la presse. « Il y avait certes des réticences au début, mais celles-ci ont été vaincues par des menaces de création d’un organe de contrôle étatique. Les journalistes ont alors préféré instaurer eux-mêmes un organe d’auto-contrôle, lequel jouit actuellement d’un respect indéniable dans le monde politique. »
Votre commentaire