La hausse du prix du papier affecte la presse depuis 2020. Mais cette surchauffe n’envoie pas encore le journal au pilon.
Par Alain Meyer
Sur les 3000 francs que coûte l’impression d’un numéro d’Edito se sont greffés en plus, depuis que le prix du papier a flambé, environ 600 francs par numéro ». Dixit Ivo Bachmann, éditeur du magazine dont vous prenez ici la lecture. Un surcoût de 20 % ! Par effet de domino, la montée en flèche du prix de la matière première du journal sur support physique va-t-elle pour autant accélérer son agonie ? Pour rappel : entre 2020 et 2021, en pleine pandémie de Covid, les prix avaient pratiquement doublé.
Qu’en est-il aujourd’hui ? « Le marché du papier devrait se détendre d’ici la fin de l’année, mais de façon très limitée puisque nous envisageons un prix autour de 700-800 francs la tonne. Mais la hausse resterait tout de même de 100 % par rapport à début 2021 ! », prédit à Edito Daniel Hammer, secrétaire général de Médias Suisses, l’association de défense des intérêts des éditeurs de la presse écrite de Suisse romande, quotidienne et périodique. Mais il rappelle qu’entre janvier 2020 et la fin de l’année dernière, le prix moyen de la tonne a explosé, passant de 400 francs à près d’un millier de francs (+150 %).
Ringier stocke. Chez Ringier Axel Springer Suisse, ces augmentations récurrentes se ressentent forcément. Mais sans toutefois que ce nouveau coup de massue remette en question l’avenir des magazines maison, têtes de gondole du groupe zurichois (Beobachter, Schweizer Illustrierte. L’Illustré, BILANZ, Handelszeitung, etc). « Le prix du papier glacé des magazines a également augmenté de plus de 84 % entre 2021 et 2022. Mais pour celui du papier, c’est en effet plus de 100 % par rapport à 2021 », nous confirme son porte-parole Michele Paparone.
Mais ce dernier ne divulguera pas en quoi les exercices 2021 et 2022 du groupe ont été directement impactés par cette explosion des prix. Mais tenant compte non seulement de cette hausse, mais aussi de celles d’autres postes (infrastructure, technique, rédaction, etc.), Ringier concède avoir cependant dû adapter le prix de ses abonnements. « Une optimisation des volumes de certains produits a aussi été adopté », ajoute-t-il, mais sans l’étayer davantage. Davantage de papier a en revanche été stocké chez Ringier, ceci pour faire face à une éventuelle pénurie de cette matière. « Pour des raisons de sécurité », résume Michele Paparone.
Victime du télétravail plus que du papier. Si le Covid a eu des effets sur les matières premières nécessaires à la fabrication du papier (pâte, bois), les effets collatéraux de la guerre en Ukraine ont de leur côté fait gonfler encore les factures d’électricité et de gaz des entreprises pourvoyeuses desdites matières. Comment un journal comme 20 Minutes, qui ne peut vu son statut de journal gratuit répercuter cette surchauffe du prix du papier sur son lectorat et ses abonné-es, tient-il encore ce choc-là aujourd’hui ? « A la suite des mesures sanitaires de lutte contre le Covid, nous avions déjà dû réduire la pagination et notre tirage en raison de la diminution du nombre des pendulaires. Depuis, le tirage total de 20 Minutes en Suisse s’est stabilisé à environ 20 % en dessous du niveau de 2019 », récapitule d’abord Philippe Favre, rédacteur en chef de l’édition romande du tabloïd.
Il observe toutefois que si la pandémie a de façon significative accéléré le changement structurel vers les contenus numériques, la hausse du prix du papier n’a pour sa part joué aucun rôle et n’a engendré aucune incidence. « Notre plus grand défi n’est pas le coût du papier, mais les habitudes e lecture qui ont évolué avec l’essor du télétravail », s’inquiète-t-il.
Transport du papier écourté. L’éditeur de 20 Minutes, Tamedia, dont la moitié du papier provient de Suisse et le restant de France et d’Allemagne, limite par sa part déjà les frais liés au transport de ce matériau, lequel doit être livrable dans un rayon de 500 km maximum. « Notre groupe veille en effet à ce que cette distance soit la plus courte possible. En outre, le matériau utilisé est toujours du papier recyclé », assure Philippe Favre. Mais avec une hausse moyenne du prix du papier de 80 % observée depuis 2020 chez Tamedia, les dégâts se reflètent dans les résultats du groupe. « La part du papier dans le coût total de chaque publication a augmenté d’environ 6 % », précise son porte-parole Philip Kuhn.
En chiffres annuels, cela signifie « des coûts supplémentaires d’un peu plus de 3 % en 2021 et jusqu’à 6 % l’année passée », détaille-t-il. Les conséquences se sont fait sentir. « Nous avons dû augmenter le prix de l’abonnement de 1 à 3 % en fonction des titres, mais cette hausse n’a toutefois permis d’atténuer qu’une partie du renchérissement. Moins de la moitié de l’augmentation des coûts due au papier et à la distribution a pu être ainsi compensée. » Comme Ringier, Tamedia met également aujourd’hui au chaud davantage de papier qu’avant avec des stocks qui ont été doublés.
« La fin de l’utilisation du papier n’est pas une option et ne le sera pas pour tout de suite. »
Inexorable spirale. Chez Médias Suisses, Daniel Hammer exhorte les autorités à tous niveaux à « enrayer urgemment cette spirale », dont la hausse du prix du papier est un des éléments, qui, dit-il, « conduit inexorablement à la disparition de la presse régionale ». Et de citer aussi les autres embûches auxquelles la presse est actuellement confrontée : hausse des coûts de distribution postale, diminution de l’aide indirecte, baisse continue des annonces aussi sur Internet. La hausse du prix du papier sonnerait-elle donc le glas du journal sur support physique ? « Nous n’enregistrons pour l’instant pas, du moins en Suisse romande, de titres traditionnels de la presse locale et régionale qui renonceraient à la version imprimée. Leur modèle économique n’y résisterait pas », relève Daniel Hammer.
Selon lui, « aucun quotidien en Europe n’a jusqu’à présent renoncé au papier, même quand la diffusion print représente plus de 50 % de la diffusion totale ». Quant à l’embellie pour le Tout-Digital, celle-ci se serait estompée depuis que la pandémie est sous contrôle. « Nous avions enregistré alors une croissance importante des abonnements numériques, de l’ordre de 10 à 20 % selon les titres. Mais depuis 2022, la moyenne est retombée autour de 5 % », confirme Daniel Hammer.
Enterrement du papier retardé. Chez Ringier, où la presse magazine reste une priorité, « celle-ci continuera à être lue principalement sous forme imprimée », assure à Edito Michele Paparone. Il parie même que l’enterrement du journal sur papier n’est pas pour demain. « Même si ce marché est en recul, le processus durera plus longtemps que ce que nous avions prévu il y a dix ans. Même après avoir atteint le creux de la vague, le marché des imprimés restera attractif encore longtemps », avance-t-il aujourd’hui.
Représentant de l’association Schweizer Medien, Andreas Zoller partage son avis. « La fin de l’utilisation du papier n’est actuellement pas une option et ne le sera pas pour tout de suite. » Le lectorat des imprimés est disposé à payer pour un tel produit alors que ce réflexe est moins inné pour un produit en ligne, dit-il. Même constat chez Tamedia. « Lectrices et lecteurs de presse écrite continuent à vouloir un journal physique et ne passent pas de manière significative aux produits numériques », conclut Philip Kuhn. Moralité : le journal papier aurait encore de beaux jours devant lui.

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