C’est un fait sans précédent en Suisse. La police a perquisitionné mardi 13 août 2013 au domicile privé du journaliste du «Matin» Ludovic Rocchi (photo Odile Meylan) qui a révélé une affaire de plagiat à l’Université de Neuchâtel. Dans un deuxième temps, elle a saisi son matériel informatique alors qu’il se trouvait à Locarno: l’organisation professionnelle impressum a dénoncé ces procédés disproportionnés qui constituent une violation crasse de la liberté de presse.
La perquisition s’inscrit dans une procédure pénale ouverte pour diffamation, calomnie et violation du secret de fonction contre le journaliste par un professeur de l’Université de Neuchâtel mis en cause dans des affaires «minant l’institution».
Pour l’avocat d’impressum en Suisse romande, Me Alexandre Curchod, chargé de cours en droit des médias à l’université, «le secret rédactionnel est la pierre angulaire de la liberté des médias comme l’a rappelé la Cour européenne des droits de l’homme. Par conséquent, il ne saurait être mis à mal en particulier dans une affaire où la prétendue infraction n’est pas une infraction grave».
Dans son édition du mois de juin 2013, EDITO+KLARTEXT a consacré sa rubrique «Braves» à Ludovic Rocchi. Nous publions l’article in extenso. Réd.
"Genug ist genug!"
Ludovic Rocchi, 48 ans, porte-parole des employés romands de Tamedia, n’a pas sa langue dans sa poche. Le 28 avril, il s’est adressé aux actionnaires du groupe à Zurich. Par Helen Brügger
Tamedia, en Suisse romande, a un problème. Un gros problème. Un problème d’image." C’est avec ces mots que Ludovic Rocchi, venu à Zurich avec une délégation du personnel romand, s’est adressé aux actionnaires réunis pour l’assemblée générale. Du jamais vu: Un journaliste romand critique la marge de bénéfice de quinze pour cent que veulent engranger les actionnaires de Tamedia. Demander quinze pour cent, c’est, selon l’orateur qui cite le Conseiller d’Etat vau-dois Pascal Broulis, "etwas gierig", un peu avide. Sur le podium des dirigeants, les mines s’allongent.
Rocchi, aux origines corses, vit dans les montagnes neuchâteloises. Il est actif au sein de la Société du personnel du "Matin" depuis de longues années. Mais à Zurich, il s’agit d’une mission très spéciale: aller expliquer le refus du plan d’économie. Expliquer les raisons d’une révolte initiée par les rédacteurs en chef, soutenue par l’ensemble des collaborateurs, partagée par l’opinion publique et des politiques romands de la gauche à la droite.
"J’ai appris l’allemand quand j’étais correspondant au Palais fédéral, en plus, j’ai une grande gueule, il fallait donc que j’assume", résume-t-il. D’où sa décision d’aller porter la parole des Romands à Zurich. "Je me suis surtout senti porté par la mobilisation exemplaire de mes camarades de tous les titres et de tous les secteurs de Tamedia, y compris de nos collègues alémaniques qui commencent aussi à oser dire ‚genug ist genug’! Et, c’est historique, nos syndicats impressum et syndicom ont bien collaboré pour soutenir notre action."
Rocchi est journaliste enquêteur. Faisant d’abord partie de l’équipe de lancement du "Temps", il s’est vite aperçu qu’il préférait écrire "pour un public plus large que les banquiers et les décideurs économiques". Il passe au "Matin Dimanche", puis au "Matin": "Notre métier doit servir à vulgariser, expliquer et dénoncer des abus, au service d’une population large. C’est pour moi un choix de société!"
Quel est le moteur de son engagement? "Je suis très curieux. Et je n’aime pas l’injustice." Voilà qui explique que Rocchi défend des causes, aussi en tant que journaliste. Celle des victimes du "shérif" neuchâtelois Frédéric Hainard, par exemple. Ou qu’il se lance dans des révélations montrant l’ampleur des problèmes de santé d’Yvan Perrin. "La droite m’a accusé de faire campagne contre Perrin, la gauche m’a accusé d’avoir favorisé son succès. J’en déduis que ce que j’ai fait est tout à fait valable", sourit-il. Rocchi à l’habitude d’être insulté: "C’est le métier d’enquêteur qui le veut. L’enquête est un sacerdoce, on est plus souvent à la cave qu’à la lumière."
Mais revenons au plan d’économies de Tamedia. Après son annonce, les employés évaluent ce que signifierait une économie de dix-huit millions en Suisse romande. Ils concluent que les deux régionaux de Lausanne et de Genève, mais surtout le "Matin Semaine" seraient menacés.
"Il suffit de faire des calculs", souligne Ludovic Rocchi. Il est vrai que les chiffres du "Matin" ne sont pas très bons, "mais il y a un problème qui dépasse le ,Matin’, c’est la manière arbitraire de faire des centres de profit." En effet, le "Matin Dimanche", poule aux œufs d’or, est pour Tamedia un centre de profit à lui seul, le "Matin" en est un autre à part.
"C’est complètement artificiel!" s’insurge Rocchi: "On pourrait très bien s’imaginer que le ,Matin Dimanche’ et le ,Matin’ semaine ne fassent qu’un seul centre de profit. Ou alors que les millions rapportés par le gratuit ,20 minutes’ pourraient servir à financer une presse payante exigeante, citoyenne!"
Vu l’ampleur des protestations en Suisse romande, les dirigeants de Tamedia reconnaissent des erreurs de communication et tentent de rassurer. Rocchi n’a pas l’air d’être convaincu par ces messages lénifiants: "Ils nous disent qu’il faut oublier ce concept dogmatique des quinze pour cent. Mais ils continuent de parler du même chiffre en millions. C’est vraiment nous prendre pour des imbéciles!"
Face à l’"Ospelisation", la soumission de la presse à des exigences de rendement spéculatives, il défend un rôle de service public pour la presse, nécessaire dans une Suisse aux quatre cultures. "On ne cesse de nous répéter qu’il faut de la valeur ajoutée. J’en suis convaincu. En bon français, il faudrait même dire qu’il faut un supplément d’âme – mais cela ne rentre pas facilement dans un PowerPoint à Zurich."
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