En annonçant publiquement qu’ils cherchaient un repreneur pour le «Temps», Tamedia et Ringier ont d’emblée réussi leur coup.
PAR CHRISTIAN CAMPICHE
Ils poussent les décideurs lémaniques – et même alémaniques, à en juger par les réactions outre-Sarine – à se positionner en faveur d’un journal qui revendique le rôle de porte-étendard de l’identité romande à Berne et Zurich. Au vu de cette levée de boucliers, la Comco, timide gendarme de la concurrence, osera encore moins s’opposer à une éventuelle prise de contrôle total du «Temps» par l’hégémonique Tamedia.
Remarquez, une solution moins institutionnelle est toujours possible. Rien n’empêcherait, bien sûr, tel flibustier de faire une offre et d’emporter le morceau. De gourmands lutins ne s’empressent-ils pas déjà de surgir de l’horizon sur la mer démontée, prenant un malin plaisir à poser sur la dunette, l’escopette chargée? Les outsiders décomplexés existent donc bel et bien, encore faut-il que coïncident les intérêts des uns et des autres.
Pacte sacré. Où va la presse romande, dans tout ça? La mise à l’encan du «Temps» a fait l’objet de débats à la radio et à la télévision mais elle ne suscite que très peu de commentaires dans les journaux et pour cause: parmi eux, beaucoup dépendent des mêmes propriétaires zurichois. Quant aux autres, s’ils s’abstiennent de se mouiller, c’est que leurs directions tirent à la même corde dans les négociations sur la CCT. Après la dénonciation de celle-ci en décembre 2012, un pacte sacré s’est établi entre les éditeurs pour maintenir une ligne dure face à la question des barèmes.
Dans ce climat de rapport de forces tendu à l’extrême, il n‘est pas insignifiant de relever que l’une des seules voix à s’être élevée depuis la fameuse annonce relative à la vente du «Temps» n’est pas helvétique mais parisienne. Président de Ringier France et administrateur du «Temps», Jean-Clément Texier n’entre pas en matière dans «24 Heures» sur la manière de communiquer de Tamedia et Ringier, on s’en doutait bien, par contre il tente d’exprimer une vision. Et son regard ne s’aventure pas au-delà d’un espace-temps impalpable: «sous peu, il y aura moins d’acteurs et le client sera amené à payer beaucoup plus». Déclinées thématiquement, les marques permettront à l’éditeur de «lancer aussi bien un magasin qu’un service d’e-commerce.» Bref la valeur ajoutée des acteurs de demain se situerait dans le consumérisme.
Succession de cycles. Grandeurs et décadences du journalisme. Il faut relire la fresque «Médias et journalistes de la République» de Marc Martin, ouvrage réédité en 1997 aux éditions Odile Jacob, pour juger à sa juste dimension l’accélération de l’histoire que nous vivons ces jours-ci. En proie à une continuelle succession de cycles, la presse vit des hauts et des bas en fonction des arythmies de sa pompe à liberté, la santé de la démocratie.
Editorial paru dans « EDITO+KLARTEXT » No 5/2013
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