Le magazine Neue Narrative plaide pour une économie libérée de l’égo.

Actuel – 04.10.2021

Travailler au sein d’une rédaction autogérée

Réinventer une organisation avec ses processus et ses structures en partant de zéro. C’est ce qu’a réalisé le jeune magazine économique allemand Neue Narrative. Son cofondateur, Martin Wiens, nous présente le modèle d’organisation de la rédaction.

Par Konrad Weber

Dix mille abonnés : il y a quelques semaines, Neue Narrative a franchi cette première frontière ­symbolique. Le magazine n’est disponible qu’en abonnement, et paraît sans être distribué dans les kiosks. Ce n’est pas sa seule particularité.

L’équipe à l’origine de ce jeune magazine économique s’est donné pour mission de raconter les histoires d’un « nouveau monde du travail libéré de l’égo ». Elle souhaite pousser le lecteur à s’impliquer, à suivre le mouvement et à penser l’avenir. Elle ne veut pas se limiter à écrire sur ce nouveau monde du travail, centré sur l’humain, elle tient aussi à incarner le prototype d’une organisation autogérée, consciente de ses responsabilités et indépendante.

« Lorsque nous avons lancé Neue Narrative, nous vou­lions mettre en place une organisation dont les processus et les structures n’encouragent pas l’épanouissement des gros égos », explique le cofondateur du journal, Martin Wiens. En deux ans, l’équipe, qui se composait de trois ­personnes au début, s’est agrandie pour passer à 15 collaborateurs. ­Depuis juillet 2020, Neue Narrative est devenue une société dite « à responsabilité » : celui qui y participe ne reçoit pas, comme ailleurs, sa part des bénéfices. La poursuite des ­objectifs de l’entreprise compte davantage que la réalisation de profits individuels.

« Nous sommes sur le point de passer la prochaine étape de notre développement », nous explique Martin Wiens. En plus de la production régulière du magazine, l’équipe s’est donné pour but de construire la maison d’édition du futur. La recette comporte trois ingrédients : une culture d’entreprise débarrassée des égos, des structures modernes et des processus agiles. Comment cela se traduit-il dans le travail quotidien de la rédaction ?

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Des objectifs stratégiques communs. Au cœur de la culture d’entreprise de Neue Narrative se trouve un pro­cessus régulier, dans lequel les collaborateurs réfléchissent au « comment » et au « quoi » de leur travail commun. L’équipe a convenu de trois objectifs stratégiques :

  • Les nouveaux canaux de croissance nous rendent autonomes.
  • Nous devenons une maison d’édition numérique décentralisé
  • Nous franchissons la barre des 1 million d’euros de chiffre d’affaires annuel.

L’équipe a traduit ces objectifs en des projets quantifiables et ciblés. Chaque semaine, elle fait le point sur l’avancement de ces projets, et adapte la stratégie si nécessaire.

Laisser libre cours à l’initiative individuelle. En outre, l’équipe a établi la règle des « 70 / 30 ». Martin Wiens nous l’explique : « Au travail, nous voulons que chacun d’entre nous consacre au moins 70 % de son énergie aux projets sur lesquels nous nous sommes mis d’accord ensemble. Il reste donc 30 % du temps pour les projets et les idées un peu folles que les collaborateurs souhaitent lancer de leur propre initiative. »

Un des éléments les plus importants de la collaboration chez Neue Narrative est le travail avec des « tensions ». Chaque personne peut en tout temps introduire une « tension » dans un logiciel collaboratif.

Il peut s’agir d’événements, d’observations, ou de sujets divers qui concernent également les autres membres de l’équipe. Une distinction est faite entre le simple échange d’informations, la prise de température (« obtenir des réactions »), ou l’attribution de tâches ou de projets à réaliser.

Processus éditorial agile. Le collectif a défini le processus éditorial du magazine selon une logique similaire, en utilisant une méthodologie de travail qui permet le développement de produit le plus flexible possible et une gestion de projet agile : il s’agit de la méthode dite « scrum ». Les différentes étapes de production, de la planification du numéro à la publication en passant par la relecture, la mise en page et la publication, sont divisées en 10 « sprints ». Chaque sprint a son propre objectif et sa propre durée. Voici quelques exemples d’objectifs pour des étapes déterminées :

  • Un texte a une accroche pré
  • Chaque texte est structuré d’une manière claire.
  • Une « version 80 % » est rédigée au propre et passe en comité de lecture.

La structure générale du magazine est définie avant le début du premier sprint. Lors d’une réunion de lancement, l’équipe rassemble les sujets et leur attribue un format prédéfini (par exemple : essais, outils, guides). Elle s’assure ainsi que le rythme du magazine soit bon. Ses membres ont, en fin de compte, l’impression d’avoir participé à un « très bon atelier ».

En plus des sprints, l’équipe s’est aussi approprié la ­logique des récits d’utilisateurs (dans le langage agile : des « user stories »). Les récits d’utilisateur sont un outil pré­cieux pour définir le contenu des projets. Ils décrivent en peu de phrases l’objectif d’un article et le pourquoi de cet ­objectif. Chaque texte répond à un récit d’utilisateur qui est formulé et poursuivi en fonction de règles prédéfinies. Afin qu’un récit puisse passer d’un sprint au suivant, certaines tâches bien définies doivent être accomplies, ce qui garantit la transparence et la mesurabilité des résultats.

Martin Wiens, cofondateur du magazine.

Production des articles. Le même système est utilisé pour confier un mandat à un auteur. Avant qu’un rédacteur ne commence à écrire un texte, les points suivants doivent toujours être clarifiés :

  • Quel est le but de l’article ?
  • Quelle est son utilité ?
  • Définition d’un « sparring-partner », soit d’un ­contre-lecteur.
  • Définition du format (guide, essai, commentaire, outil)
  • Définition de la longueur du texte.
  • Définition du délai pour la transmission à l’édition
  • Plafond des coûts.

« Tous les auteurs ne peuvent évidemment pas travailler avec une procédure aussi clairement définie, observe ­Martin Wiens, mais elle fonctionne bien pour notre équipe. Cette structure nous permet de ne pas attendre qu’un texte soit finalisé pour commencer à discuter de son contenu ; les étapes pour y parvenir sont plus transparentes. Cela étouffe les élans individualistes et produit presque toujours, selon notre expérience, de meilleurs résultats. »

Récompenser la qualité plutôt que la quantité. Dans la même philosophie que les processus développés pour le magazine, les journalistes indépendants qui écrivent pour Neue Narrative ne sont pas rémunérés au nombre de signes, mais en fonction du temps investi. « L’incitation doit aller dans ce sens : ’ Tu es payé pour fournir du bon travail et non pour la longueur de tes articles. ’ Cela doit également nous permettre de créer plus de transparence dans le processus de rédaction », poursuit Martin Wiens.

A cette fin, la rédaction et le journaliste définissent un plafond de coûts lors de l’attribution du mandat, c’est-à-dire un temps maximal que l’auteur peut consacrer à la production de son article. Si le texte ne peut pas être terminé dans les conditions fixées à l’avance, que ce soit pour des raisons de temps ou de surplus de travail à effectuer, les auteurs ­doivent le signaler le plus tôt possible. Nous convenons alors d’un nouveau plafond. La philosophie du magazine s’applique également ici : l’autogestion et la confiance ­passent avant tout.

Conseiller stratégique et coach, Konrad Weber accompagne des individus, des équipes ou des organisations dans leur processus de développement numérique. Auparavant, il était notamment conseiller pour la stratégie numérique auprès de la Radio-Télévision Suisse RTS. Vous trouverez plus d’exemples pratiques et des conseils sur la transformation numérique sous : konradweber.ch

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