Les partis politiques nationaux considèrent-ils que les difficultés économiques de la presse sont inquiétantes pour la démocratie suisse? Cinq d’entre eux ont répondu à notre questionnaire. Leurs avis sont très contrastés.
Par Alain Maillard
Il ne faut pas se focaliser uniquement sur les rédactions qui ferment ou qui sont fusionnées, mais relever aussi que plu-sieurs titres en ligne ont vu le jour (Republik, Watson, Nau). Pour le moment il est vrai que cette offre n’est pas encore arrivée en Suisse romande.
Ces titres apportent un souffle nouveau et permettent de mitiger, en tout cas partiellement, les réductions dans la presse écrite», répond par exemple Karine Barras, pour le Parti libéral–radical (PLR). Et plus loin: «La Suisse jouit encore d’une diversité de médias régionaux assez exceptionnelle en comparaison internationale.»
Les réponses de l’Union démocratique du centre (UDC), elles, se contentent de souhaiter, par la plume d’Andrea Sommer, ancienne journaliste à la Basler Zeitung, que les médias «évitent de se centraliser» pour respecter le fédéralisme; pas un mot à propos des fusions et réductions de postes dans les rédactions.
Quant à Jürg Grossen, président des Vert’libéraux, il considère que «la diversité des opinions et le nombre des médias ont globalement augmenté grâce à la numérisation, c’est une tendance réjouissante. Il serait exagéré de parler d’inquiétude profonde.»
A gauche, par contre, à la question de l’inquiétude, la réponse est clairement oui. «Un quatrième pouvoir fort est une condition indispensable pour une démocratie vivante. Nous constatons une perte en diversité, en qualité et en quantité, en particulier aux niveaux local et régional», écrit Nicolas Haesler pour le Parti socialiste suisse (PSS). Quant à Regula Rytz, présidente des Verts, qui nous a longuement répondu elle-même, elle considère que «la crise de la presse est très inquiétante».
Le questionnaire était adressé aux présidents de sept partis. Deux n’ont pas répondu: le PDC et le PBD. Nous avons posé cinq questions. Deux portaient sur le parti lui-même: comment il estime être couvert par les médias, et à combien de journaux le ou la président(e) et le secrétariat général sont abonnés. Nous relevons quelques éléments de réponse en encadré.
Les réponses aux trois questions principales, nous les résumons ci-dessous, en accordant une place plus large aux argumentations les plus subs-tantielles. Significativement, ce sont surtout celles du PS et des Verts
- Des journaux ferment, des rédactions sont réduites ou fusionnent. Estimez-vous que le traitement de l’actualité politique en Suisse a tendance à diminuer, en quantité ou en qualité?
«Nous constatons, au niveau régional en particulier, que tous les sujets pertinents ne sont pas traités, écrit Regula Rytz. En Suisse alémanique, il n’y a pratiquement plus que la NZZ qui suit régulièrement la politique nationale. Les autres médias font leurs choix selon leurs propres critères. Ce qui est positif, c’est qu’en ligne, les médias imprimés traitent parfois des sujets de fond. On y tombe sur des trouvailles.
Mais le débat d’idées entre les camps politiques est négligé. On y perd une fonction d’orientation de la démocratie.» La réponse du Parit socialiste relève par ailleurs que «les opérateurs sur internet mettent sur le marché leurs propres offres, qui ne répondent pas nécessairement aux besoins de la démocratie. Les plates-formes qui fournissent des contenus sans apport journalistique gagnent en importance.»
Pour le Parti libéral-radical (comme pour le Vert’libéral Jürg Grossen), il n’y a tout simplement pas de réduction de la qualité. «La fusion des rédactions pourrait même contribuer à améliorer la qualité de la presse, si les synergies sont pleinement exploitées», avance Karine Barras.
- Une étude de Daniel Kübler, politologue à l’Université de Zurich, montre que plus la presse locale est forte, plus la participation aux élections est élevée. La crise de la presse vous inquiète-t-elle? Risque-t-elle selon vous d’affaiblir la démocratie?
La réponse de l’UDC ne contient pas de prise de position quant à l’inquiétude. Elle se contente d’affirmer qu’il est «important qu’à chaque niveau, national, cantonal et local, l’actualité soit couverte par une presse adaptée aux réalités locales». Au PLR, on estime qu’il «convient de garder un œil ouvert sur la question de la presse locale. Il est indéniable que celle-ci joue un rôle important dans notre système démocratique, un rôle social et participatif.»
Au PSS, on considère que «la presse a besoin de conditions-cadres politiques qui renforcent la diversité et la qualité à tous les niveaux de l’Etat». Regula Rytz, elle, relève que «l’espace vide est rempli par des médias sociaux qui ne sont pas liés aux critères de qualité journalistiques.
On voit aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne que cela augmente les risques de manipulation et ça marche. L’historien Richard J. Evans a récemment demandé: «Qu’aurait fait Goebbels avec Internet?» Pour moi, il est clair que les institutions démocratiques ne peuvent rester indifférentes. Nous avons enfin besoin d’une politique des médias tournée vers l’avenir.»
- Que devraient faire les pouvoirs publics pour améliorer la situation des médias d’information?
Pour les Verts, affirme Regula Rytz, «il est clair que dans le contexte actuel, il est nécessaire de promouvoir activement la diversité et la qualité des médias. Cela doit inclure un service public fort, une agence de presse forte et une aide directe et indirecte aux médias privés, là où ils sont menacés par les monopoles et la défaillance du marché. C’est le cas aujourd’hui, surtout dans l’ouest de la Suisse, mais aussi dans l’est et le centre de la Suisse.»
La Parti socialiste, lui, estimant que «le journalisme n’est pas un bien qui peut être soumis aux règles du marché», propose des changements de fond. «A long terme, un financement direct des médias et du journalisme doit être introduit, couvrant tous les genres de médias. Cela présuppose une base constitutionnelle correspondante. Tant qu’elle fait défaut, l’aide indirecte devrait être considérablement accrue.
Il faut une agence de presse nationale à but non lucratif, avec une mission de service public pour fournir des contenus de haute qualité en allemand, en français et en italien, afin de répondre aux besoins des médias régionaux.
Il faut également une réglementation efficace de la concentration des médias, afin de renforcer la diversité des propriétaires et, partant, des opinions. Une meilleure protection des employés et des conditions de travail équitables doivent également être rendues obligatoires.»
A droite, on ne veut pas modifier la politique actuelle. Ou à peine, «on devrait soutenir les médias locaux qui peuvent fournir des prestations de service public», déclare Jürg Grossen. Mais il souhaite surtout que la SSR n’empiète pas trop sur le terrain des privés.
Le PLR, lui, prône le maintien en l’état actuel de l’aide à la distribution postale. «Une aide directe est clairement rejetée, elle créerait une dépendance envers l’Etat qui serait néfaste pour notre démocratie.» Lui aussi, il tient à limiter le champ d’action de la SSR. Quant à l’UDC, elle insiste sur l’indépendance financière vis-à-vis de l’Etat, rappelant son soutien à No Billag.
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«Mis à part le Matin…»
Constatez-vous des manques dans le traitement de l’actualité de votre parti? Lesquels?
Le PSS et les Verts se plaignent d’une présence excessive de la droite, ou de l’UDC en particulier, dans les médias d’information. Ils estiment aussi que certains thèmes ne sont pas suffisamment traités. Regula Rytz écrit que les médias n’abordent qu’accessoirement des sujets comme «la question vitale du climat ou des problèmes quotidiens tels que les loyers ou la sécurité sociale».
Le PSS cite également le réchauffement climatique. L’UDC se plaint de l’attitude «souvent plutôt négative» à son égard, le PLR ne voit «aucun manque» et Jürg Grossen estime que «ça varie selon les régions».
Combien d’abonnements (print ou online) avez-vous au siège de votre parti? Ce nombre a-t-il diminué? En tant de président du parti, combien en avez-vous?
Plusieurs réponses rappellent que les partis disposent de la revue de presse fournie par l’administration fédérale. Si bien que Jürg Grossen, par exemple, ne lit plus les médias imprimés depuis de nombreuses années. Au secrétariat des Verts, on se contente de trois quotidiens, mais Regula Rytz dit investir environ 3000 francs par an dans des abonnements personnels.
L’UDC et le PLR comptent tous deux une trentaine d’abonnements; «mis à part la disparition du Matin, rien n’a changé», note Karine Barras. Quant au PSS, il reconnaît que le nombre de ses abonnements a diminué, mais c’est en raison de la perte de diversité entre les titres eux-mêmes.
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