Secteur  Droit des médias

17.10.2023

Les coupables innocents

De la présomption d’innocence dans le journalisme.

Par Manuel Bertschi

Avec une recherche minutieuse, le « Tages-Anzeiger » a récemment réussi à mettre en lumière la surcharge du système judiciaire suisse. Une des raisons apparentes est l’augmentation des plaintes pénales. Il est probable que les médias couvriront plus fréquemment les cas criminels. Avant qu’un jugement ne soit prononcé, il s’agit de rendre compte du simple soupçon qu’une personne a commis un délit. Ce type de couverture médiatique nécessite une certaine habileté journalistique. Le grand défi est la gestion de la présomption d’innocence.

Toute personne est présumée innocente jusqu’à preuve de culpabilité. Les médias doivent aussi respecter cette présomption. C’est reconnu par la Cour fédérale et explicité dans les directives du Conseil de la presse. Ainsi, les médias doivent éviter toute condamnation publique prématurée, protégeant ainsi l’intégrité des personnes concernées. Aussi évident que cela puisse paraître, le traitement insuffisant de cette présomption est souvent observé, notamment dans le choix des titres sans nuance.

Formule insuffisante

Le Tribunal fédéral pose des obstacles importants en ce qui concerne l’utilisation de la présomption d’innocence par les médias. En particulier, il est exigé que « même dans le cadre d’un article plus large, à chaque fois que le soupçon d’un délit est mentionné, seule une formulation indiquant suffisamment clairement qu’il ne s’agit pour l’instant que d’un soupçon et qu’une décision divergente du tribunal pénal compétent est encore tout à fait possible. » Cette décision soulève aussi un drapeau rouge sur l’emploi fréquent et superficiel de la mention « La présomption d’innocence s’applique ». Cette formule est insuffisante si le contenu médiatique est préjugeant et si la personne accusée est reconnaissable.

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La ligne entre la mention autorisée et la mention non-autorisée de la personne accusée est beaucoup moins nette. En principe, il faut éviter de mentionner le nom du suspect et, par conséquent, de la rendre identifiable. Ceci pour respecter la présomption d’innocence et la vie privée de l’accusé. La situation se complique lorsque des personnes d’intérêt public sont concernées. Contrairement à l’opinion générale, la mention du nom n’est pas systématiquement autorisée mais dépend du besoin légitime d’information du public. Et même dans ce cas, ce besoin d’information doit être équilibré avec le droit à la vie privée de l’individu. Si le premier prévaut, la nomination peut être justifiée, par exemple si un délit est présumé en rapport avec les activités d’un homme politique.

Pas seulement une barre noire

Mais le diable se cache dans les cas individuels : cela révèle souvent des questions de délimitation complexes. Quand est-ce qu’un accusé est une personnalité publique ? L’intérêt public à l’information prévaut-il sur la protection de la vie privée de l’individu ? Ces questions et d’autres laissent place à l’interprétation. Souvent, la nomination devient un point de discorde entre les médias et les personnes concernées. Même la combinaison d’autres identifiants, comme l’âge ou le lieu de résidence, ou les photos des accusés requièrent de la prudence. C’est une idée fausse très répandue que de penser qu’une barre cachant les yeux tient suffisamment compte de l’anonymat. Une chose est sûre : la présomption d’innocence pèse généralement plus lourd que le désir de satisfaire la curiosité du public.

Les directives pour le traitement médiatique correct de la présomption d’innocence sont donc strictes. Néanmoins, l’aptitude linguistique et le sens de la sémantique devraient permettre aux journalistes de naviguer avec plus d’aisance dans ce cadre. Comme guide pour les futurs reportages sur des soupçons et comme résumé final, la checklist suivante pourrait servir :

  1. Un soupçon de délit doit être constamment décrit comme tel.
  2. Le titre doit également indiquer qu’il ne s’agit pour le moment que d’un soupçon de délit.
  3. Si le prévenu n’est pas une personne d’intérêt public, il faut en principe renoncer à mentionner son nom.
  4. Si l’accusé est une personnalité publique, la mention du nom peut être justifiée. Surtout si l’accusation est liée à l’activité pour laquelle l’accusé est connu.

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