Secteur  Droit des médias

20.12.2024

Des erreurs (super)provisoires

Les ordonnances superprovisoires visant à censurer des articles de presse sont délicates, mais heureusement très rares en Suisse.

Par Manuel Bertschi

Les ordonnances dites superprovisoires sont entourées de nombreuses idées reçues, à commencer par leur appellation. Les tribunaux suisses ont rarement recours au terme « ordonnance superprovisoire ». La formulation correcte est plutôt celle de « mesures provisionnelles » ou de « décisions relatives à des mesures provisionnelles ». Dans un contexte médiatique, une telle demande vise à obtenir du tribunal l’ordre de prendre, de manière superprovisoire, une mesure spécifique (par exemple bloquer une publication), et ce, sans entendre la partie adverse.

Idées reçues répandues

Il est courant de penser qu’il n’est possible de demander que des ordonnances superprovisoires avant une publication. Pourtant, la pratique judiciaire courante confirme qu’un tel recours peut aussi être accepté immédiatement après la diffusion d’un article. Une autre idée reçue concerne la fréquence de ces ordonnances. Les journalistes se plaignent souvent de cet outil juridique puissant, comme ce fut le cas lorsque le Parlement a débattu de l’abaissement des critères pour de telles mesures. Certains redoutaient pour leur part que le journalisme critique de qualité soit menacé.

Cependant, dans la pratique juridique, les demandes de mesures superprovisoires restent rares. Cet instrument n’est utilisé qu’en cas exceptionnel et, plus rarement encore, ces demandes sont acceptées par les tribunaux. Les obstacles procéduraux et financiers sont tout simplement trop élevés pour que les superprovisions puissent paralyser le paysage médiatique.

Des tribunaux prudents

Néanmoins, de telles demandes de mesures provisionnelles constituent en principe une atteinte grave à la liberté des médias, garantie par la Constitution. Cela s’explique notamment par le fait qu’elles sont ordonnées sans consultation préalable des médias concernés. C’est pourquoi les tribunaux font généralement preuve d’une grande prudence dans leur utilisation. Théoriquement, les médias peuvent anticiper en déposant une requête préventive auprès des tribunaux. Ce document leur permettrait de présenter leur point de vue de manière proactive en prévision d’une éventuelle demande de mesures.

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Toutefois, ces écrits restent rarement utilisés en raison de leur faible pertinence pratique. Le problème principal réside dans la raison même pour laquelle ces mesures superprovisoires sont parfois adoptées. Il arrive que les médias se voient interdire la publication de contenus qu’ils n’avaient jamais prévu de diffuser ou qu’ils n’auraient pas publiés sous la forme envisagée dans la demande et l’ordonnance. Cette situation, bien que frustrante, pourrait être évitée. Les journalistes ont la possibilité, dans leurs demandes d’informations aux personnes concernées, d’attirer l’attention sur de telles erreurs. Ils peuvent par exemple préciser si la publication inclura des éléments permettant une identification, la manière dont les allégations seront présentées (par exemple, comme des soupçons), ou indiquer que la demande s’inscrit uniquement dans le cadre d’une recherche, avec une confirmation ultérieure d’une éventuelle publication.

Qu’arrivera-t-il si une ordonnance superprovisoire est prononcée ?

Si une ordonnance superprovisoire est adoptée, elle n’a pas vocation à rester en vigueur indéfiniment. Dans un second temps, le tribunal compétent examine, après avoir recueilli les arguments du média concerné, s’il convient de lever les mesures ou de les transformer en mesures provisoires. Si ce n’est pas le cas, les parties concernées doivent engager une action civile dans un délai imparti pour faire valoir ces mesures. Si elles ne le font pas, toutes les mesures sont alors automatiquement annulées.

Ce processus prend généralement plusieurs mois. Il est donc erroné de croire qu’une ordonnance superprovisoire résout tout d’un coup.


Manuel Bertschi est avocat chez Zulauf Partner (Zurich) et spécialiste du droit des médias et du droit d’auteur.

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