Alexandra Stark, experte en IA chez CH Media, entrevoit une nouvelle répartition des tâches entre l’humain et la machine. Pour elle, la condition essentielle à une utilisation compétente de l’IA est « une bonne introduction et un accompagnement clair » des collaborateurs. La technologie, rappelle-t-elle, n’est jamais qu’un moyen au service d’un objectif.
En quoi consiste ton travail d’experte IA chez CH Media ?
Je fais partie de l’équipe « Transformation IA » au sein du département Publishing, qui regroupe les titres imprimés et les portails en ligne de CH Media. Je me considère comme une traductrice entre le journalisme et la technologie. Notre équipe compte trois personnes, pour un total d’environ 150 % de temps de travail consacré à l’IA. Nous utilisons notamment l’outil ChatGPT. Avec Stefan Trachsel, qui dirige notre équipe, nous sensibilisons les rédactions à l’IA à l’aide de formations.
Comment les rédactions réagissent-elles ?
Chez CH Media, les collaborateurs sont curieux. L’IA a le potentiel d’apporter des changements profonds, pas seulement dans le journalisme.
Il ne faut pas se voiler la face. Mais de nombreux collègues y voient aussi une opportunité : déléguer les tâches routinières à la machine pour se concentrer sur les missions essentielles du journalisme, là où l’humain fait réellement la différence. On entend souvent dire que ce sont les employés plus âgés qui freinent cette évolution. Chez nous, ce sont plutôt les plus jeunes qui expriment des réticences de principe. Je l’explique ainsi : les journalistes expérimentés savent mieux évaluer quelles tâches peuvent être confiées à des outils. Ils sont aussi plus à même d’analyser et de décrire les problèmes de manière précise. Ce sont donc eux qui peuvent en tirer le meilleur parti. Mais pour tous, la condition sine qua non pour utiliser l’IA de manière compétente est de bénéficier d’une bonne introduction et d’un accompagnement sur mesure.
Quels sont, selon toi, les plus grands atouts de l’IA ?
Dans un premier temps, nous devrions confier à la machine les tâches répétitives et monotones, comme l’extraction d’informations d’e-mails pour les intégrer à des outils de planification ou l’exécution de recherches de base grâce à un accès plus rapide aux archives. L’IA peut déjà nous aider à optimiser le référencement, à relire des textes ou à effectuer le travail de référencement par mots-clés.
[werbung]
Dans un second temps, nous devrons aborder des questions beaucoup plus fondamentales : Comment utiliser la personnalisation ? Et quels nouveaux produits pourrions-nous proposer à nos lectrices, lecteurs et utilisatrices, utilisateurs grâce à l’IA ?
Quels sont les risques ?
Cela peut sembler paradoxal, mais je vois avant tout des opportunités pour les médias. Je suis convaincue que très prochainement, Internet sera saturé de contenus auxquels nous ne pourrons plus faire confiance. Nous avons aujourd’hui une chance unique de positionner les médias comme des points de repère fiables pour l’information. Cela implique toutefois que nous devons faire preuve d’une grande prudence et de retenue dans l’utilisation de l’IA. En effet, la crédibilité peut se perdre très rapidement. C’est pourquoi nous avons défini des règles, notamment celle-ci : derrière chaque contenu, il doit y avoir une personne humaine qui en porte la responsabilité et qui le valide.
Quelles sont les conséquences pour les journalistes ?
Une nouvelle répartition des tâches entre l’humain et la machine est à prévoir. Il n’est pas nécessaire que tous les journalistes deviennent des experts en intelligence artificielle. Mais ils doivent être des utilisateurs compétents et sûrs. Il est donc essentiel que chacun comprenne au minimum ce qu’est l’IA et comment elle fonctionne.
C’est pourquoi, dans un premier temps, nous avons mis l’accent sur la formation des équipes et des individus. Les êtres humains ne doivent jamais se laisser diriger par la technologie : ils doivent rester aux commandes.
Alexandra Stark
Experte en intelligence artificielle chez CH Media, Alexandra Stark (55 ans) a auparavant suivi une formation pédagogique, étudié les sciences politiques à l’université de Saint-Gall (HSG), suivi l’école de journalisme de Ringier et travaillé sept ans comme correspondante à Moscou. Titulaire d’un master en journalisme numérique, elle a dirigé la formation au MAZ jusqu’en 2024. Aujourd’hui, elle partage son temps entre CH Media et des missions indépendantes.