Susanna Petrin, Washington D.C.

Actualités médias

15.09.2025

Ce qui est vrai, c’est ce qui plaît à Trump

Une recherche scientifique fructueuse exige le courage de l’autocritique. Sous un président qui érige en principe l’infaillibilité de ses propres certitudes, elle ne peut que perdre. Les États-Unis sont ainsi en passe de perdre leur position de leader mondial en sciences.

Par Susanna Petrin, Washington D.C.

J’ai toujours raison, et je vais vous dire ce qui se passe avec la science aux Etats-Unis ! » Voilà à quoi je ressemblerais si j’avais un peu plus de Trump dans le sang. La vérité serait plutôt la suivante : j’ai acquis une vue d’ensemble de l’état de la science aux Etats-Unis pour écrire ce texte, grâce à mes lectures et à mes entretiens. Je suis donc à mon dernier stade d’erreur. De nouvelles connaissances pourraient peut-être ultérieurement réfuter mon constat.

Je fais ici référence au philosophe Karl Popper, l’un des pères de la théorie moderne des sciences. Mon propre père, qui est chimiste, a un jour assisté à une conférence de Popper à Bâle. Profondément impressionné, il m’a souvent parlé de sa théorie de la falsifiabilité. Selon Popper, une hypothèse n’est valable que tant qu’elle n’a pas été réfutée. « Tous les cygnes sont blanc » n’est vrai que jusqu’à ce qu’on observe un cygne noir. La science sérieuse suppose le doute, la possibilité de l’erreur et l’ouverture à la critique. Seule cette attitude permet le progrès.

L’antipode de Karl Popper

Il est difficile d’imaginer un homme moins sujet au doute que Donald Trump. Sa certitude de soi ne connaît aucune limite, ce qui complique la tâche de la science et facilite celle du président. Ce qui est vrai, c’est ce que Trump veut bien tenir pour vrai. Est vrai ce qui sert ses intérêts et ceux de sa clientèle, dont l’industrie pétrolière. Est vrai ce qu’il affirme à l’instant. Le changement climatique ? « Des bêtises, ce n’est que de la météo », dit-il. Les reportages critiques des médias indépendants ? « Que des fake news ! » Le racisme ? « Ce problème n’existe pas aux Etats-Unis. » L’idéologie d’abord ! Trump nie les acquis des sciences naturelles comme des sciences humaines et sociales, surtout lorsqu’ils contredisent son propre récit politique.

Donald Trump est l’antipode de Karl Popper. Le voir à la tête du pays qui concentre le plus de moyens de recherche au monde a des conséquences fatales pour les Etats-Unis et pour la planète entière. Rien d’étonnant à cela. Ce qui se passe désormais dépasse même les craintes de ses plus sévères critiques : l’administration Trump taille dans les sciences non pas au marteau, mais à la tronçonneuse et au lance-flammes. Le projet de budget 2026 prévoit des coupes allant jusqu’à 50 % dans les plus grandes institutions scientifiques du pays. Au total, ce sont plusieurs dizaines de milliards de dollars et des dizaines de milliers d’emplois qui doivent disparaître. « Les coupes dans la recherche menacent la santé, la sécurité et la prospérité futures de notre pays », alerte Sudip Parikh, directeur général de l’American Association for the Advancement of Science. Les Etats-Unis risquent de perdre leur position de leader en matière de recherche.

Le démantèlement a déjà commencé : des scientifiques rapportent des retraits de financements, l’interruption de projets, une insécurité en matière de soutien, voire de la censure. Des experts et des étudiants étrangers se voient de plus en plus souvent refuser l’entrée sur le territoire, les échanges internationaux sont freinés et la relève scientifique se tourne vers d’autres pays. Les études sur le changement climatique et d’autres dangers environnementaux, ainsi que tous les projets liés à la diversité, à l’égalité des chances ou à l’inclusion (DEI), sont particulièrement touchés à l’initiative de Trump.

Les méthodes employées rappellent de plus en plus celles des Etats autoritaires. Une liste noire de mots circule, ceux qu’il ne faut plus utiliser sous peine de suppression ou de refus de financement. Parmi les termes bannis figurent « énergie propre », « crise climatique », « sciences du climat », mais aussi « race », « genre » – et « femme ». Mais la résistance s’organise : lettres de protestation, recours en justice, manifestations… Au printemps, l’ONG « Stand Up For Science » a rassemblé des milliers de personnes dans la rue. Karl Popper le savait : seule une société qui tolère le débat ouvert et le doute peut rester libre. Une politique hostile à la science mine au contraire les fondements mêmes de la démocratie, de l’humanisme et des Lumières.

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