Juridiquement, le cas est clair : exprimer publiquement des critiques envers son employeur entre en conflit avec le devoir de loyauté des employés.
Par Manuel Bertschi
Les journalistes peuvent-ils critiquer leur employeur sur les réseaux sociaux ?
Comme tous les autres employés, les journalistes sont tenus au devoir général de loyauté. Cela signifie qu’ils doivent éviter toute action pouvant nuire à la réputation de leur employeur. Critiquer publiquement son entreprise entre donc en conflit avec cette obligation. Toutefois, le devoir de loyauté n’est pas absolu : il est limité par les intérêts légitimes des employés. L’étendue exacte de cette obligation dépend d’une mise en balance des intérêts et d’une évaluation au cas par cas.
La SSR est un média public et ne doit-elle pas accepter la critique ?
Les journalistes de la SSR sont eux aussi soumis au devoir de loyauté. Les lignes directrices éditoriales de SRF précisent cette obligation, ce qui signifie que toute critique publique émanant de journalistes de SRF envers leur propre entreprise est en contradiction avec ces règles internes. Par ailleurs, la liberté d’expression ne confère pas un droit absolu à critiquer son employeur. Elle ne peut être invoquée pour justifier des critiques publiques allant à l’encontre du devoir de loyauté.
Les journalistes ne font pourtant pas partie de la communication d’entreprise ?
En vertu de son droit de direction, la SSR est en principe en droit de demander à ses employés de supprimer des critiques qu’ils ont exprimées publiquement. Toutefois, il convient de procéder à une mise en balance des intérêts en jeu. Dans ce cadre, il convient notamment d’examiner si la critique formulée était factuelle ou non. Les journalistes de la SSR sont tenus, dans leur travail quotidien, à l’exactitude et à l’équilibre de l’information. Il est évident que le programme d’économies de la SSR a des conséquences tant pour le public que pour les employés.
Le devoir de loyauté s’applique-t-il même s’il n’est pas mentionné dans le contrat de travail ?
Oui, ce devoir est défini par la loi et s’applique indépendamment de toute mention contractuelle.
Quelles peuvent être les conséquences d’une violation du devoir de loyauté ?
Une violation du devoir de loyauté peut entraîner les conséquences suivantes :
- Procédure disciplinaire si une réglementation interne le prévoit
- Résiliation du contrat, une résiliation avec effet immédiat n’étant toutefois justifiée qu’en cas de faute grave
- Demande de dommages et intérêts de la part de l’employeur
- Sanctions contractuelles ou administratives, sous réserve de leur légalité et d’une base juridique suffisante
- Action en exécution, par exemple une procédure judiciaire visant à faire supprimerla critique publiée
En revanche, le refus ou la réduction du salaire en guise de sanction ne sont pas autorisés.
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Les activités des journalistes sur les réseaux sociaux sont-elles privées ou professionnelles ?
La frontière entre sphère privée et professionnelle est souvent floue. C’est la raison pour laquelle les lignes directrices éditoriales de la SSR encadrent ces pratiques. Selon ces règles, les employés et cadres ayant une influence sur le contenu, la conception ou la présentation de l’offre journalistique de la SSR sont soumis à un devoir de diligence renforcé et doivent respecter pleinement les principes journalistiques, y compris dans leurs activités privées. Les autres employés ne sont pas directement soumis à ces restrictions internes, mais peuvent choisir d’appliquer ces règles volontairement. Le Conseil suisse de la presse considère désormais que les journalistes qui s’expriment sur les réseaux sociaux sont, en principe, tenus d’appliquer les règles déontologiques du métier.
L’ordre de suppression était-il légal ? Etait-il judicieux ?
Si la direction de SRF a réellement donné un ordre de suppression, la décision peut être jugée légale. Toutefois, elle était maladroite. Dans un contexte aussi sensible, de vives réactions étaient prévisibles pour une entreprise comme la SSR. Une autre approche aurait sans doute évité d’amplifier la polémique.
Manuel Bertschi est avocat chez 4sight legal (Zurich) et spécialiste en droit des médias et de la propriété intellectuelle.