C’était ambitieux, le journaliste Gilles Labarthe l’a fait. Il a compilé une trentaine d’entretiens avec des expert·es de tous horizons, dans un recueil paru au début de l’année. A picorer sans modération.
Par Jean-Luc Wenger
Journaliste indépendant, Gilles Labarthe collabore régulièrement avec ce magazine. Il a publié en début d’année aux Editions Antipodes un recueil, « Faire face », de 33 interviews qu’il a sélectionnées parmi ses contributions à « La Liberté » « Le Courrier » et, bien sûr à « Edito ». Docteur en journalisme de l’université de Neuchâtel, il a multiplié les rencontres pour tenter de donner de nouvelles clés de lecture sur des enjeux d’actualité. Et le chercheur ratisse large. Egalement anthropologue, Gilles Labarthe plonge aux racines du blues dans le Sud des Etats-Unis ou encore conte l’histoire du rap français. De nombreux thèmes sont abordés, tels que les processus de naturalisation, de discrimination, le réchauffement climatique ou les modes de consommation. Toujours avec une ou un scientifique expert dans le domaine en question. Et un fil conducteur: « explorer les marges, questionner nos rapports à l’information, notamment sur des sujets de recherche désormais bannis par l’administration Trump », explique l’auteur.
Vulgarisateurs
Plusieurs chapitres sont dédiés aux médias. L’un concerne la thèse de doctorat de Jean-Philippe Ceppi sur l’usage de la caméra cachée dans quatre pays différents, dont la Suisse évidemment. L’ancien producteur de l’émission phare de la RTS « Temps présent » a publié sa somme sous le titre « Glisser sur une glace dangereusement fine – La caméra cachée en journalisme de télévision ». Sa thèse confirme la nécessité de la caméra cachée et du travail sous couverture, en tant qu’outil de dernier recours du journalisme d’investigation. « Mais à manier dans un cadre évidemment très rigoureux », tempère Jean-Philippe Ceppi.
Une décision du Tribunal fédéral de 2008 interdisait quasiment cet usage en Suisse. Depuis, la situation a évolué grâce à une plainte de la SSR devant la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg. De là est arrivé une décision favorable, en 2015, « elle a contribué à rectifier la situation ». S’il ne devait retenir qu’une seule utilisation de la caméra cachée dans l’émission « Temps présent », il choisirait la maltraitance dans les EMS, un reportage diffusé en 1997, « avec des images qui ont eu un impact colossal ». Alors oui, Jean-Philippe Ceppi sait vulgariser son sujet. Tout comme l’auteur Gilles Labarthe.
De l’infox en Ukraine
Ce dernier a aussi rencontré Andreï Kourkov, le plus célèbre des auteurs ukrainiens qui s’est engagé depuis le début de la guerre menée par le Russie pour expliquer au jour le jour dans les médias la situation kafkaïenne que traverse son pays. Lors de cet entretien publié en octobre 2022, Andreï Kourkov ne ménage pas Volodymir Zelensky, pour le moins… Ainsi, il relève que la production des films dans lesquels jouait le président ukrainien était financée par Ihor Kolomoïsky, « peut-être l’oligarque le plus riche de toute l’Ukraine ». Il a par exemple été accusé d’avoir détourné 5,5 milliards de dollars de la plus grande banque privée du pays, PrivatBank.
L’écrivain relève que les fake news se sont multipliées en Ukraine. Il cite par exemple l’histoire selon laquelle Poroshenko (Petro Oleksiovytch Poroshenko, milliardaire et président de 2014 à 2019) serait coupable de la mort de son frère. Une infox qui a beaucoup été débattue. Andreï Kourkov publie ses articles dans « The Guardian », « The Economist », « The Observer » ou encore le « New York Times ». Que des petits journaux donc. Un autre chapitre concerne encore les biais racistes dans les médias. A découvrir dans « Les jours qui ont ébranlé la BBC ». Des coups de projecteurs divers mais toujours pertinents pour mieux faire face.
« Faire face : 33 pistes pour comprendre notre société », Gilles Labarthe, Editions Antipodes, 171 pages, 2025.
