Crise du marché publicitaire, crise du marché des lecteurs, absence de convention collective et maintenant l’IA : le journalisme est sous pression. A la tête d’impressum, la plus grande association de journalistes de Suisse, deux femmes lutteront désormais pour la profession.
Par Jean-Luc Wenger et Matthias Zehnder
En Suisse romande, les journalistes bénéficient encore d’une convention collective de travail, mais les éditeurs vont tout faire pour l’affaiblir. En Suisse alémanique, son pendant, le GAV, a disparu depuis de longues années. Voilà bien un sujet qui va occuper les deux nouvelles co-présidentes d’impressum ces prochaines années.
Caroline Gebhard est journaliste au quotidien « La Côte », avec quelques infidélités, depuis sa sortie de l’Université. Si le siège du journal se trouve à Nyon, elle a passé quelques années comme correspondante à Morges et vient d’être déplacée à Nyon. Elle a effectué son stage RP au « Journal de Cossonay » et à « La Côte », où elle a adoré traiter de sujets de « micro-locale ». Comme pigiste, elle prenait tous les sujets possibles et imaginables, passant de la soirée des accordéonistes aux assemblées communales. Une envie que détecte bien le rédacteur en chef de l’époque qui lui propose un stage RP. Elle part ensuite à « 20 minutes » où elle restera 5 ans, traitant de sujets cantonaux et la chronique judiciaire. « J’ai appris énormément durant cette période, tout était très différent », se souvient Caroline Gebhard.
Tourner la page
Après « 20 minutes », la voilà de retour à « La Côte », où elle occupe un poste à 80 % à l’édition, le reste à la rubrique locale. L’aventure durera onze mois avant qu’elle ne soit sollicitée par « La Région Nord vaudois », à Yverdon-les-Bains, pour prendre le poste de rédactrice en chef. L’expérience tourne au vinaigre, le syndic estimant que les autorités communales sont insuffisamment présentes dans le journal. Elle quitte la rédaction du jour au lendemain et l’affaire finit devant la justice.
Malgré cette fin abrupte, « j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec des collègues à l’humanité bien développée », sourit la toute fraîche quarantenaire. Aujourd’hui, elle a tourné la page de ce battage politico-médiatique qu’elle n’a jamais souhaité et qui « avait pris des proportions énormes ». Il faut dire qu’une pétition munie de 820 signatures avait été remise à l’éditeur de « La Région Nord vaudois » pour déplorer son départ. Trop tard. La suite, c’est à nouveau à « La Côte » qu’elle l’écrit. En 2019, elle fait son retour dans la rédaction. Sur le terrain, ce qu’elle préfère, à Morges et dans sa région. Fille d’une famille d’agriculteurs, elle se voyait enseignante mais les hasards de la vie l’ont amenée au journalisme. Elle a toujours travaillé en parallèle à ses études, notamment dans une boulangerie durant plusieurs années.
Un syndic égratigné
Pour elle, « la locale, c’est la vie. J’adore le contact avec les gens et on finit toujours par avoir un réseau intéressant. Et on participe parfois à changer la région. » Caroline Gebhard a tout appris sur le tas, en pratiquant. « Bien sûr, je peux être proche de mes interlocuteurs, mais il faut aussi garder une certaine distance. Et cela ne m’a jamais empêchée de faire mon métier », relève la co-présidente d’impressum. Elle se pose aussi des questions sur la manière de traiter les sujets polémiques : « Est-ce le rôle des journalistes localiers de lancer les polémiques ? Je pense que nous sommes surtout là pour les relayer. »
Elle ressent une forme de reconnaissance en rubrique locale, « au sens noble du terme, mais cela reste difficile à traduire en abonnements… » Elle se souvient aussi d’un syndic qui l’avait admonestée publiquement après qu’elle l’avait égratigné en évoquant sa « double casquette » dans un article. Quelques mois plus tard, le même élu, visiblement satisfait par un autre de ses papiers, l’avait prise par l’épaule à la sortie d’une conférence de presse. Elle et Fabienne Sennhauser ne se connaissaient pas avant leur élection, mais les premiers mois se déroulent bien. « Nous avons beaucoup de points communs nous défendons les mêmes valeurs. Il est important que nous puissions nous partager le travail puisque nous sommes employées les deux à 100 %. » Elle reconnaît que la situation économique dans les médias est compliquée. Entre la perte d’abonnés et l’érosion dramatique du marché de la publicité, Caroline Gebhard doute que la presse puisse survivre sans aide publique. Elle relève aussi les projets cantonaux des cantons de Genève et Fribourg qui proposent des abonnements gratuits aux jeunes. Elle accueille fréquemment des stagiaires et cela la rassure. « J’ai eu récemment une fille de 14 ans en stage et elle avait vraiment le sens du récit. C’était super intéressant ! » Et le fait d’avoir cosigné des articles dans « La Côte » au côté de Caroline Gebhard l’a rendue particulièrement fière ! Elle était très sensible aux fake news, aux photos sorties de leur contexte.
Caroline Gebhard ne cesse de s’enthousiasmer : « Le terrain, ça me fait vibrer, je ne suis pas faite pour passer mon temps dans un bureau à faire de la gestion ! » Elle qui aura passé trois ans à la présidence d’impressum Vaud, une section qu’elle a, avec d’autres, contribué à remettre sur pied, peut s’attendre à un emploi du temps bien chargé dans les temps qui viennent.
Un article du magazine en ligne « Republik » avait calculé qu’en 2023, 96 journalistes avaient quitté la profession. La motivation la plus fréquemment avancée était le manque de reconnaissance. A l’interne d’abord, par l’attitude des éditeurs, et dans la société en général. Espérons que la foi en ce métier qui anime les deux têtes de l’association soit contagieuse.
Co-Présidentes
Le 22 mars, l’assemblée des délégués d’impressum a élu deux femmes à sa tête : la Zurichoise Fabienne Sennhauser et la Vaudoise Caroline Gebhard dirigeront désormais l’association professionnelle en tant que co-présidentes.
Fabienne Sennhauser (31 ans) était jusqu’à récemment rédactrice en chef adjointe et responsable du desk des actualités de la « Zürichsee-Zeitung ». Début juin, elle a rejoint le service Zurich du « Tages-Anzeiger » où elle est responsable de la rédaction du service. Fabienne Sennhauser est présidente de l’Association de la presse zurichoise (ZPV) et co-présidente d’impressum.
Caroline Gebhard (40 ans) travaille pour « La Côte » et couvre l’actualité de Morges et de sa région. Elle a débuté dans le journalisme en 2008 à ce poste. Après des passages à « 20 Minutes » et « La Région », elle est revenue à « La Côte » en 2019, où elle travaille « corps et âme » comme journaliste locale.
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