Actuel – 22.06.2020

A l’aube du journalisme scientifique

Invité récurrent des séances de rédaction, le Covid-19 est-il parvenu à doper les médias exposés à une soif inextinguible de sciences ?

Par Alain Meyer

Le thème ressassé du corona-virus aura eu le mérite d’ouvrir de nouveaux champs d’inves-tigation – voire d’espérance – pour des rédactions étranglées économiquement. On n’a jamais autant consommé de la science que ces derniers mois dans les médias suisses. Pour combler des lectorats confinés mais à l’appétit vorace, le storytelling scientifique a été une aubaine.

« Liés de près ou de loin au virus, ces sujets ont représenté jusqu’à 70-80 pour cent de nos contenus », estime le rédac-teur en chef de La Tribune de Genève Frédéric Julliard. Mais il faut distinguer l’information scientifique à celle impactant la vie en société, la liberté de mouvement par exemple. « Les sujets strictement liés au virus n’ont représenté qu’un tiers ou un quart de ces 70-80 pour cent », tempère-t-il. La pandémie a fait remonter deux aspects : « La science et la médecine, suivie du data », l’enregistrement et le traitement des données conduisant au décryptage des courbes (progression/régression) du SARS-CoV-2.

Manque de moyens flagrants. En mars et avril, alors que la crise sanitaire était à son paroxysme, « le trafic sur notre site a augmenté de plus de 200 pour cent », analyse Frédéric Julliard. Mais il redoute que « cet intérêt pour les sujets scientifiques s’estompe après la pandémie, mais sans disparaître ». A la Tribune, où le thème de la santé est décliné depuis plusieurs années, « nous allons poursuivre sur cette voie ».

Conscient que le suivi de la pandémie passionnera encore quelque temps le grand public, Frédéric Julliard souhaiterait bien sûr en faire plus, vulgariser davantage. Problème : il manque de moyens financiers pour le faire. De réseaux aussi. « Nous ne bénéficions pas de liens privilégiés, ni ne réalisons de publi-reportages pour des centres de recherche », indique-t-il. Les travaux aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), l’un des établissements les plus sollicités du pays lors du traitement des malades du Covid-19, « continueront d’être suivis, mais sans accès privilégié ». Idem pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui siège à Genève, et dont les déclarations « sont relayées en y opposant des points de vue critiques ».

Du jamais vu chez Swissinfo. Parmi les médias qui ont vu leurs visites exploser, le site de SWI swissinfo.ch à Berne, a percé des plafonds. « Proposée en dix langues, notre offre a été utiles aux migrants d’ici qui ne parlent pas l’une de nos langues », précise Larissa M. Bieler, directrice et rédactrice en cheffe de SWI, dans le giron de la SSR-SSG. Au plus fort de la crise, le nombre de clics a ainsi pris l’ascenseur. « L’accès a quasi triplé L’accès a quasi triplé dans les dix langues par rapport à la même période en 2019.par rapport à la même période en 2019. Et les internautes sont restées sept fois plus longtemps sur le site. »

« L’accès a quasi triplé dans les dix langues par rapport à la même période en 2019. »

Larissa M. Bieler

De deux millions de visiteurs en mars 2019, la fréquentation a grimpé à 12 millions, selon les chiffres de la société indépendante Net-Metrix. Conformément à l’accord de service conclu entre SSR-SSG et la Confédération, « les innovations scientifiques suisses qui ont et auront demain une résonnance internationale seront une priorité pour nous », note-t-elle. Swissinfo.ch publie déjà une newsletter par mois sur les sciences. Une série d’articles compilés, y compris parfois en chinois. Et depuis ce printemps, l’auteure irlandaise Clare O’Dea se fend d’une feuille d’infos en anglais sur les développements et avancées scientifiques qu’elle observe dans notre pays.

Journalisme sous-estimé. Le traitement de sujets en écho aux innovations réalisées dans les milieux scientifiques en Suisse aurait de beaux jours. « Un de nos rapports d’enquête consacré à l’impact du Covid-19 sur le marché des antibiotiques a déjà été repris dans des revues scientifiques », cite Dale Bechtel, également membre de la rédaction en chef de SWI swissinfo.ch. Ce qui a valu à son auteure (Jessica Davis Plüss) une mention de la part du Réseau international de journalisme d’investigation (GIJN).

Mais la crise sanitaire a aussi fait apparaître la difficulté de traiter des sujets scientifiques avec l’expertise voulue. « Le journalisme scientifique doit et sera renforcé en Suisse au lendemain de cette crise sanitaire, alors qu’il était sous-estimé », prédit Larissa M. Bieler. Chez SWI swissinfo.ch, la cellule « sciences » a déjà été renforcée. « Des discussions sont en cours avec des institutions scientifiques pour partager encore davantage de contenu. Et nous positionner comme un partenaire attractif pour elles », conclut Dale Bechtel.

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