JAM à Pérouse – 21.06.2018

La protection des sources à l’ère numérique

Le tout numérique rend de plus en plus difficile l’anonymisation des sources. Les journalistes doivent revenir à d’anciennes méthodes pour les protéger, et parfois se battre contre leur propre gouvernement.

PAR LUCAS SEIDLER

Onze millions et demi de documents confidentiels, soit 2600 gigaoctets fuient de Mossack Fonseca, la société panaméenne spécialisée dans la création de sociétés écrans. Ce leak d’avril 2016 est le plus grand de l’histoire du journalisme moderne. La brèche révèle des informations sur plus de 200’000 sociétés offshore. Elle a touché un nombre important de personnalités politiques et sportives et même certains chefs d’Etat.

Rencontrée à Perugia, Julie Posetti, chercheuse associée à l’Université d’Oxford pour l’étude du journalisme, a surtout été surprise par l’insistance de la source à rester anonyme et à utiliser des moyens de communication cryptés. Elle admet qu’il est de plus en plus difficile pour les journalistes de préserver la confidentialité. Dans beaucoup de pays, il existe un code journalistique d’éthique qui demande au journaliste de protéger ses sources anonymes. Mais actuellement, l’ère de la surveillance et de la conservation des données rend la tâche de plus en plus ardue. Les réseaux sociaux et autres plateformes d’internet ont l’obligation de conserver les données pour une longue durée, et potentiellement de les remettre aux autorités.

Selon la chercheuse de l’Université d’Oxford, «il y a des lois autour du monde qui contournent la protection des sources, des lois de sécurité nationale et d’antiterrorisme. Elles sont utilisées pour justifier la surveillance, la remise ou l’interception de matériel.» Même si le journaliste se retrouve au tribunal à défendre la confidentialité de ses sources, il ne fait guère le poids face à un gouvernement qui a les moyens d’extraire des informations de façon digitale, qu’elles sont contenues sur un appareil ou sur un cloud. Il est de plus en plus difficile de garder ces informations inaccessibles.

L’étude de l’UNESCO, «Protecting Journalisme Sources in the Digital Age», rédigée par Julie Posetti, examine le cadre légal pour la protection des sources dans 121 pays, sur plusieurs décennies. La plupart des recommandations qui en découlent incluent le besoin pour les Etats de renforcer les lois actuelles, afin de s’assurer que les protections qui existent pour les journalistes s’appliquent aussi aux téléphones portables, aux laptops et aux disques durs. Mais aussi pour que les communications avec les sources soient protégées. Non seulement celles qui sont publiées ou qui concernent l’identité des sources, mais l’entier des communications. Cette étude recommande également l’utilisation, en parallèle, de moyens de cryptage de communication pour assurer l’anonymat des sources.

La Suisse aussi est touchée par les lanceurs d’alerte. Fin 2008, Hervé Falciani divulgue des informations sur des clients de la filiale suisse de HSBC qui, selon lui, favoriserait l’évasion fiscale. Il partira pour l’Espagne où il se trouve actuellement dans une situation délicate. Il est emprisonné quelques mois en 2012 puis libéré en 2013. Le 4 avril dernier, la police espagnole l’arrête à nouveau en raison d’un mandat d’arrêt international pour son extradition, émis par les autorités suisses. Il devrait purger en Suisse cinq ans de prison ferme. Les informations, elles, débouchent en février 2015 sur les SwissLeaks. Ils révèlent un système international de fraude fiscale et de blanchiment d’argent touchant 188 pays.

Une autre affaire, montrant aussi l’ampleur de la surveillance étatique pour trouver les sources journalistiques, s’est déroulée dans les années 60. La chasse aux pro-jurassiens est lancée par la police fédérale. Elle identifie et met les principaux activistes sur écoute téléphonique. La volonté d’indépendance jurassienne amène effectivement le groupe Bélier et le Front de libération du Jura (FLJ) à provoquer plusieurs actions, considérées comme violentes.

Le journaliste Bernard Willemin était fréquemment contacté par les séparatistes pour couvrir ces évènements. Il les relatait ensuite dans plusieurs quotidiens régionaux. Son épouse, Rolande Willemin, se souvient très bien de cette période, et du moment où la police fédérale a frappé à sa porte: «Ils voulaient nous installer un deuxième téléphone dans la chambre à coucher.» La police fédérale a passé un après-midi chez les Willemin à tenter de les convaincre d’installer un téléphone relié à la police, vainement. Elle voulait anticiper les actions du FLJ et en arrêter le président. Plus tard, le couple Willemin apprendra par un ami travaillant aux PTT qu’ils ont été mis sur écoute, comme bien d’autres partisans pro-jurassiens.

Aujourd’hui, les sources qui ne connaissent pas toutes les dernières technologies de cryptage informatique reviennent aux anciennes méthodes, comme le raconte Julie Posetti: «Les journalistes doivent prendre de petites routes, rouler de longues distances pour être en contact avec des personnes. Et elle se retrouvent dans des parkings, comme l’histoire de Woodward et Bernstein et les hommes du président Nixon, une histoire connue du journalisme.» Maisparadoxalement cette ère numérique permet aussi les plus grandes divulgations, comme les Panama Papers.

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