Environ 1400 personnes ont participé aux rencontres de l’opération médiatique La Suisse parle, le 21 octobre. Très peu en Suisse romande. Une manière de revivifier le dialogue démocratique? Les divergences ont été moins grandes que prévu.
Par Bettina Büsser
Voilà de la pertinence démocratique! Bravo aux initiateurs de la campagne #LaSuisseparle SchweizSpricht. On n’a pas eu depuis trop longtemps un tel sentiment d’appartenance commune», a tweeté Oliver Classen, ancien journaliste et responsable zurichois de Public Eye. Bien sûr, il a participé à La Suisse parle – comme apparemment beaucoup d’autres personnes travaillant dans la communication et le journalisme. Il suffit d’un coup d’œil à #LaSuisseparle pour le voir.
«Si nous avons demandé aux journalistes de se joindre à l’opération, c’est pour qu’ils en parlent», explique Matthias Daum, chef du bureau suisse de Die Zeit. «Mais les participants venaient de tous les horizons sociaux.» Matthias en a été la plaque tournante, le maître du jeu, parce que le projet était né sur la version en ligne de son journal en Allemagne.
Le principe de base de l’opération, qui s’est déjà déroulée deux fois en Allemagne et une fois en Autriche, est tout simple: les médias qui y participaient ont appellé leur public à s’inscrire pour une conversation avec un inconnu. Les personnes intéressées ont répondu à des questions axées sur des ques-tions politiques polarisant l’opinion: relation à l’Union européenne, adoption par des couples homosexuels, politique d’asile, quotas féminins. Ensuite, un algorithme a mis ensemble des personnes dont les opinions divergeaient le plus possible et vivant à proximité. Et un rendez-vous était fixé.
Quelle pertinence démocratique? «Nous essayons de faire notre part pour un meilleur dialogue entre les camps politiques, et ainsi de vivifier la démocratie», dit Matthias Daum. Il s’agirait d’amener les conflits à leur place: «à une table où deux personnes sont assises ensemble».
L’idée a fait son chemin. En Suisse alémanique, les partenaires médiatiques ont été Die Zeit Schweiz, SRF, watson, Republik, la WOZ, ainsi que trois journaux du groupe Tamedia, le Tages-Anzeiger, la Berner Zeitung et Bund. En Suisse romande, la RTS, 24 heures, la Tribune de Genève et le Matin Dimanche. A leur appel, environ 4000 personnes se sont inscrites pour participer à Die Schweiz spricht/La Suisse parle.
Le dimanche 21 octobre, environ 700 paires se sont réunies. «La procédure voulait qu’on s’inscrive, qu’on vérifie son inscription par sms, qu’on fixe un rendez-vous après désignation de son partenaire et qu’on se rencontre. Plus de la moitié des personnes ont quitté le processus en chemin», précise Matthias Daum. Néanmoins, selon lui, en proportion de la population, il y a eu plus de participants qu’en Allemagne. «Peut-être que les Suisses ont davantage le goût de la discussion, ou qu’ils sont plus habitués à échanger avec des personnes qui ont des opinions et des positions différentes des leurs.»
Des participants ont été déçus que les divergences soient moins grandes que prévu.
La grande majorité des participants était du côté alémanique. En Suisse romande, malgré les appels de la RTS et des journaux de Tamedia, «ça n’a pas vraiment fonctionné», constate Matthias Daum. Des chiffres, il ne veut pas en donner. Sur la carte interactive produite par SRF, toutefois, on peut voir qu’environ 160 personnes s’étaient inscrites dans les zones postales 1000 à 2999. En comparaison: il y en a eu 190 à Bâle, 270 à Berne et 730 à Zurich. Les citadins alémaniques se sont donc montrés plus intéressés à la discussion.
Les retours de La Suisse parle ont été positifs – de même que les comptes-rendus dans les médias partenaires. «Les commentaires des participants ont surtout été positifs», évalue Matthias Daum. Des réactions négatives sont plutôt venues de personnes déçues que leur entretien n’ait pas eu lieu, leur interlocuteur ayant laissé tomber le rendez-vous. Quelques autres sont venues de personnes trouvant que les divergences d’opinion n’étaient pas aussi grandes que prévu. «Ce qui est clair, c’est que les personnes inscrites étaient intéressées à engager la discussion avec quelqu’un d’une opinion différente. Les fanatiques, ceux qui refusent le dialogue, on ne les atteint pas non plus avec ce genre d’action.»
Dans les conversations rapportées par les médias, on a pu constater qu’elles aboutissaient à davantage de similitudes que de divergences. Le choix des médias partenaires a-t-il pu jouer un rôle? Matthias Daum ne veut pas indiquer s’il a contacté d’autres médias, comme par exemple la NZZ ou la Weltwoche, plus profilés. «L’objectif doit être de rassembler un éventail aussi large que possible d’opinions. Il y a encore de la marge pour une amélioration», conclut-il, «très satisfait» néanmoins de cette opération. La Suisse parle aura à nouveau lieu l’an prochain, annonce-t-il, avant les élections fédérales.
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