Dans certains pays, les informations sont difficilement accessibles. Les journalistes étrangers font alors appel à des «fixeurs». Lumière sur un métier méconnu avec Rajesh Prabhakar, surnommé «le Google du Dharavi», un bidonville de Mumbai. Il était invité au Festival du journalisme de Perugia.
Par Sami Zaibi (AJM)
Leur nom intrigue. Les «fixeurs» sont pourtant bien connus des journalistes en reportage à l’étranger. Chargés de fixer les rendez-vous, de trouver des sources ou de traduire, les fixeurs sont les rois de la débrouille. Rajesh Prabhakar est l’un d’eux. Si vous avez besoin de trouver un violent criminel pour qu’il témoigne sur le crime organisé à Mumbai, c’est vers lui que vous vous tournerez. Dans le Dharavi, ce «fixeur» ne trouve pas ses sources sur Google. Google, c’est lui.
Il le dit d’emblée, la partie la plus importante de son job est de construire son réseau. C’est grâce à celui-ci qu’il peut chercher des informations précises, avoir écho des nouvelles du bidonville, mettre en contacts journalistes et intervenants. C’est son réseau qui lui a permis de récolter des informations pour le reportage de BBC2 sur les conducteurs de taxis, celui d’ABC sur les éboueurs, ou encore le livre de Joseph Campana sur les aspirations et les anxiétés des habitants de Mumbai.
Une démarche proactive
Seulement, Rajesh Prabhakar ne se contente pas de prendre le numéro des personnes qu’il rencontre lors de projets; il adopte une démarche que l’on peut pour le moins qualifier de proactive: «Quand je me réveille le matin, je sors et je vais rencontrer 5 personnes que je ne connais pas. Voilà mon job: je vais dans la rue parler avec 5 personnes qui attirent mon attention. Un designer, un peintre, un maçon, peu importe qui j’aurai en face de moi, tant qu’il suscite mon intérêt. Je lui demande ce qu’il fait, quel est son contexte familial. Puis je rentre et je garde à l’esprit les 5 personnes que j’ai rencontrées. Et le jour d’après je gagne encore 5 personnes, et ainsi de suite. C’est comme ça que je construis mon réseau», explique-t-il.
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La spontanéité de sa démarche surprend, son efficacité impressionne. Suivre son instinct et privilégier l’humain, voilà deux leçons qui inspirent, à l’heure où l’on googlise de long en large les personnes avant de les rencontrer.
Toutes sortes de pression
Puis Rajesh Prabhakar de joindre la parole à l’acte: «Demain, vous venez à Dharavi, quelle histoire voulez-vous raconter?». «Euh…, le crime organisé, par exemple», lui répondons-nous. Sa réponse fuse: «Okay, pas de problème. Je connais à homme un Dharavi, c’est un grand criminel qui est souvent allé en prison. Je connais son adresse, je peux le mettre en contact avec vous». Le trouver est une chose, mais le convaincre de témoigner en est une autre. «C’est ma spécialité», clame fièrement le «fixeur», avec un grand sourire sous son épaisse moustache.
Pour ce faire, il distingue 2 étapes: comprendre la personne, puis détecter ce qu’elle veut. «Tu peux faire sa vie», affirme Rajesh Prabhakar. En effet, les intervenants, même criminels, affectionnent tout particulièrement de passer sur les grandes chaînes de télévision britanniques et américaines.
Le métier de «fixeur» n’est toutefois pas de tout repos. Il génère toutes sortes de pression: pression politique, pression des habitants. Mais le plus dur reste d’obtenir les autorisations de tourner pour les journalistes étrangers. En Inde, il faut partout une autorisation pour tourner, même dans la rue. Sans elle, les policiers font tout arrêter. Mais c’est encore le réseau de Rajesh Prabhakar qui le sauve: certaines connaissances bien placées lui permettent d’obtenir les autorisations qu’il souhaite.
Sylvain Bolt
Journaliste Web pour Edito.ch/fr. Diplômé de l'Académie du journalisme et des médias de l'Université de Neuchâtel.
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