La mobilisation a été impressionnante pour défendre la liberté d’expression, après l’attaque armée contre Charlie Hebdo et l’assassinat de douze personnes. Mais n’esquive-t-elle pas l’écueil que représente la notion de blasphème ?
Dire que la liberté d’expression passe avant tout, c’est un non-sens pour les islamistes. Depuis la publication des caricatures de Mahomet en 2005, leurs réseaux appellent à châtier les coupables ; sur une vidéo, on entend qu’un des assaillants affirme en partant avoir vengé le Prophète. Si cette incompatibilité ne concernait que les extrémistes, il n’y aurait pas de débat. Mais c’est tout le monde musulman qu’elle met en porte-à-faux.
Le blasphème peut être puni de mort dans treize pays, tous musulmans. Le Coran n’y appelle pas explicitement, mais on y trouve de quoi le justifier. Même les responsables de l’islam le plus modéré sont gênés, comme on a pu le voir ce mercredi soir sur une chaîne d’informations continues. Un représentant des Démocrates musulmans français condamnait clairement l’attentat. Mais quand le journaliste lui a demandé s’il pouvait affirmer que le droit à la liberté d’expression inclut le droit de critiquer les religions, il a hésité, parlant de question délicate, et plus le journaliste insistait, plus il esquivait.
Faudrait-il dénoncer cette ambiguité ? Dans une république laïque, expliquait un docteur en droit dans le quotidien Libération en 2012*, « la liberté d’expression ne saurait être limitée par la liberté de croyance. La seule limite en ce domaine est le respect de l’ordre public, qui prohibe l’incitation à la haine, la discrimination, ou encore l’incitation à la violence à l’égard non pas d’une religion, mais des personnes qui la pratiquent. » Selon cette interprétation, rien n’empêche de traiter le Prophète ou le Christ d’imposteur, de sauvage, de benêt. Ce qui, on le sait et on peut le comprendre, fait mal à tout musulman pieux quand ça vient d’un Occident dominateur, qui a tant humilié le « dar al-islam » (domaine de l’islam).
Proclamer que la liberté d’expression doit prévaloir sur toute sensibilité religieuse, point à la ligne, est-ce la bonne réponse à la violence ? Et au malaise des musulmans d’Europe ? On peut considérer que c’est la réponse nécessaire afin de défendre la démocratie et la laïcité. Mais on ne peut pas esquiver ce débat de fond.
* http://www.liberation.fr/monde/2012/09/18/en-france-le-blaspheme-n-existe-plus_847187
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