M comme Marc-Henri Jobin – 12.12.2017

No Billag: le doute de Rico

Il est des conversations banales qui donnent à réfléchir. C’était il y peu, un beau samedi matin. J’étais en mode small talk avec mon coiffeur, bien installé dans le nouveau fauteuil du salon qu’il vient de réaménager. Un gars vif et pétillant de la génération Y, bien dans ses Converse et sous sa casquette NYC, indépendant depuis que celui qui l’a formé a fait faillite, grand fan d’Apple, dont il acquiert les derniers modèles avant tout le monde au gré de ses participations aux fashion weeks et acteur de la première heure sur les réseaux sociaux.

Je l’aime bien Rico. Je suis l’un de ses plus vieux clients, dans tous les sens du terme. J’éprouve pour lui une sympathie paternaliste mélangée d’admiration pour son énergie et son esprit d’entreprise. Chaque fois que je me rends chez lui, toutes les six semaines, je sais qu’il aura un nouveau projet en tête ou que celui qu’il m’a décrit la fois précédente est en bonne voie d’être réalisé. De quoi nourrir la conversation et l’esprit.

Mais ce samedi, Rico a bien failli me faire un méchant escalier sur la tempe gauche. C’est qu’instinctivement, je me suis retourné sur lui, incrédule: «Oui, cinq ans! m’a-t-il lâché, écartant peigne et ciseaux, ça fait cinq ans que je ne regarde plus les infos à télé et que je n’ai plus de radio.» Et les journaux? «Pas davantage… trop anxiogènes! J’aspire à autre chose quand je rentre du boulot. Mais je m’informe! Je trouve tout sur le web… Alors, une redevance, pour quoi faire?»

«Oui, on trouve bien de tout sur la toile, ai-je nuancé. Y compris les infos des médias dont tu penses te détourner et financées pour une part par la taxe dont tu penses pouvoir te passer…». Mais Rico a du répondant: «Les journalistes, c’est bien! Mais ce n’est pas toute l’info. Chacun aujourd’hui dit ce qu’il voit et ce qu’il pense sur le Net. Peu importe qui et quoi, il y a toujours des témoins pour filmer, raconter. La vérité finit toujours par sortir.»

J’avais la parade: «Ah vraiment? Et qui crois-tu au final: le témoin no1, le no2, le no5? Qui va vérifier, t’expliquer pourquoi et comment et enquêter sur les causes? «Pas forcément les médias en tout cas, répond Rico définitif. Quand je pense qu’il a fallu 32 ans et un documentaire sur Netflix pour que je découvre que c’est finalement l’élevage qui est responsable de 51% de la pollution de la planète! Les médias le savaient. Mais ici on me bassine pour que je prenne mon vélo et réduise ma douche pour économiser l’eau.»

«Bon, ai-je respiré, n’en demeure pas moins que ta douche et les shampoings, le vélo comme l’usage des transports publics participent aux efforts pour agir sur les 49% restants… Et si, un jour, l’eau du robinet est brune et sent mauvais, tu pourras toujours demander à Netflix de thématiser ton cas…»

L’ai-je convaincu? Pas sûr. Mais j’ai vu le doute traverser ses yeux.

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