Il est possible de pratiquer le journalisme en télétravail. Prendre des images, en revanche, exige de sortir même pendant le confinement. Comment se déroule le travail des photographes et des cameramen durant une pandémie ?
Par Bettina Büsser
Beat Kälin part en mission lorsqu’il y a un incendie ou un accident. Avec son équipe, le « reporter des gyrophares », le propriétaire de BRK News en Thurgovie, filme et photographie les incendies, les accidents, les scènes de crime en Suisse allemande. Il compte parmi ses clients nombre d’entreprises médiatiques, dont TX Group, Ringier et SRF. « Lors des premiers jours du confinement, nous avons remarqué que nos clients n’utilisaient quasiment plus nos images », confie Beat Kälin.
Il s’est donc accommodé à la situation. Comme son travail lui a permis de se constituer un bon réseau auprès de diverses organisations, il a pu, par exemple, accompagner la protection civile lors d’opérations comme la construction de clôtures ou la mise en place d’un centre spécialement conçu pour le coronavirus à Frauenfeld. Il a aussi filmé un hélicoptère équipé contre le Covid-19 sur l’aéroport de Birrfeld. « Tout le monde a repris ces images », déclare Beat Kälin.
Le reporter a dû instaurer de nouvelles règles pour conduire ses interviews. Le micro doit être recouvert par un film de protection, mais surtout : « Etant donné que nous devons garder une distance de deux mètres, nous avons dû monter le micro sur une perche. Nous le tenons à distance devant le visage des porte-parole de la police ou des pompiers. » Depuis le début de la crise du coronavirus, ces derniers sont d’ailleurs moins présents sur le terrain lors d’accident ou d’autres événements.
Masqué. Beat Kälin s’est donc adapté. Pour Gian Ehrenzeller, qui couvre les Grisons et la Suisse orientale pour Keystone-ATS, le type de mandat et les sujets ont également changé : « Le coronavirus a pris le dessus sur tous les autres thèmes. J’ai essayé de proposer des sujets plus légers, mais personne ne s’y intéressait », observe-t-il. Seules ses photos de la sécheresse affectant la nature et l’agriculture ont trouvé preneur.
Il décrit le changement en prenant l’exemple du sport : « Normalement, je prends des photos lors des matchs de Super League. Récemment, j’ai photographié des entraînements ou des matchs fantômes dans des stades vides… et pour finir ne plus que des stades vides.» Gian Ehrenzeller ne souffre pas des restrictions : « Pour les photographier, je ne m’approche généralement pas à moins de deux mètres des gens. » Keystone-ATS a fourni des masques et du désinfectant à ses employés ; Gian Ehrenzeller les emporte toujours avec lui dans sa voiture.
Garder la distance. Pour Gian Ehrenzeller, les images prises pendant la crise du coronavirus sont de véritables documents sur la société contemporaine : « Il est important que tout soit documenté. Les images en provenance de Bergame ont clairement montré ce qui pouvait se produire. » Il ne pense cependant pas à la maladie lorsqu’il travaille : « Je me contente de photographier. Nous avons beaucoup à faire dans la photographie d’actualité. » Ce n’est pas le cas de ses collègues indépendants : nombre d’entre eux vivent de mandats confiés par de grandes sociétés, pour lesquelles ils font des portraits. Selon ses collègues, ce genre de mandat est devenu rare à l’heure actuelle.
Les portraits pour des entreprises sont aussi l’une des sources de revenus principales pour Katharina Wernli, photographe indépendante à Zurich. Normalement, confie-t-elle, « je fais des photos des membres de la direction ou du personnel au travail. Lorsque le confinement a été décrété, je me suis soudain retrouvée sans mandats. » Les contrats ont été reportés à une date indéterminée. « Les gens ont peur, même si on peut les photographier à deux mètres de distance. » Elle n’a plus obtenu de commandes de portraits pendant plus d’un mois, mais elle a de nouvelles requêtes à présent. « A condition de respecter certaines règles : cinq personnes au plus et garder la distance requise. »
Pendant le confinement, Katharina Wernli a proposé d’autres types d’images à ses clients, qui sont principalement des entreprises et des communes. Par exemple, elle a documenté ce qui se passait dans les communes : elle a photographié les magasins vides, les clients dans les pharmacies et les magasins d’alimentation encore ouverts, mais aussi le travail de la police et de la protection civile. Sur le terrain, elle porte un masque « pour protéger les personnes et pour qu’elles se sentent en sécurité durant la séance de photos ».
Pour Katharina Wernli, l’épidémie de coronavirus pourrait avoir des conséquences à long terme pour la photographie. Elle explique que l’on a beaucoup communiqué par Skype, ou d’autres services similaires, dont la qualité d’image n’est pas très bonne. « On s’habitue à une perte de qualité. A l’avenir, il sera donc peut-être plus difficile pour les photographes de vendre des images de bonne qualité. » Et beaucoup plus de personnes produisent elles-mêmes des vidéos. « Je pense que cette situation poussera davantage la vidéo à contribuer au déclin de la photographie. »
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