Depuis le 17 juillet 2013, Federica Angeli, journaliste d’investigation, menacée de mort, vit sous la protection d’une escorte armée. Entretien à Perugia lors du Festival international du journalisme.
Propos recueillis par Emmanuelle Birraux (AJM)
Federica Angeli est menacée pour avoir été témoin d’un double homicide, règlement de compte entre des ma-fieux de la région de Rome. Malgré les intimidations, elle continue à dénoncer les crimes commis par la mafia. Une force de courage dans un pays où l’impunité reste encore la règle.
EDITO: Depuis plus de quatre ans vous vivez sous protection armée, comment cela a-t-il changé votre quotidien?
Federica Angeli: Ma vie a changé de façon radicale. Je travaillais beaucoup en immersion, sur des enquêtes, comme le trafic d’armes à Rome. Avec deux gardes qui m’accompagnent tous les jours, j’ai dû arrêter de le faire.
Et pour votre vie privée?
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Je ne suis plus libre. Le matin, je pars de la maison et les gardes sont là. La veille je dois leur dire tout ce que je vais faire le lendemain. C’est très dur. Malgré tout, je continue à faire mon travail, à écrire et enquêter sur la mafia à Ostia.
Avez-vous peur?
Bien sur que j’ai peur! Ca serait être complètement inconscient de ne pas avoir peur! Mais il est essentiel de ne pas céder aux menaces. Parce que c’est exactement ce que la mafia veut et je refuse de jouer ce jeu. La peur et le courage sont le revers d’une même médaille. Il y a un côté qui brille plus. Moi, j’ai décidé de prendre celui du courage.
Votre famille vous soutient-elle?
J’ai la chance d’avoir des enfants qui sont encore petits. Notre vie a changé mais on prend cela comme un jeu, un peu comme dans le film de Bellini La vie est belle. Ils comprendront quand ils seront plus grands.
Quelques jours avant le 19 avril, où vous avez témoigné contre la mafia d’Ostia, vous avez reçu des menaces.
Je crois que la balle qui m’est arrivée avant le procès reflète la propre peur de cette mafia. J’étais la seule témoin oculaire d’un double homicide. Et c’est de cette nuit à Ostia dont j’ai témoigné. Cette nuit, lorsque j’ai refusé d’obéir aux ordres des boss.
C’était le 17 juillet 2013…
Cinq ans! Mais finalement le 19 avril est arrivé. Et je devais aller témoigner! Ce qui est juste, c’est qu’ils aient peur, pas moi! Rentrer dans cette cour de justice est une victoire personnelle, même si cela a été dur jusqu’ici.
Est-ce-que l’Etat vous a soutenue sur ce chemin?
Au niveau politique, il n’y a pas vraiment de désir de contrer la mafia en Italie. Lors de la campagne électorale, aucun parti politique ne s’est prononcé contre le crime organisé. Nous avons pourtant besoin d’actions concrètes pour lutter. Ce sont nous, journalistes, qui devons nous faire les adversaires de la mafia, et parler de leurs crimes. Malheureusement, beaucoup d’entre nous ont souvent peur.
Vous devez vous sentir seule dans cette lutte?
Très seule. Nous sommes peu à parler de ce qui se passe vraiment et des crimes mafieux. J’aimerais que les médias parlent davantage de la situation dans laquelle se trouve l’Italie, des enquêtes que moi-même et certains autres collègues mènent. Si je suis la seule à parler, je suis celle qu’il faut éliminer. Par contre, si nous parlons tous, cela sera impossible de nous éradiquer tous.
Federica Angeli
42 ans dont cinq sous escorte permanente.
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