Créée en mars 2017, la Coalition For Women in Journalism (CfWiJ) veut soutenir les professionnelles du monde entier.
PAR MARION POLICE
«J’apprends beaucoup de ma mentor. Par exemple, comment contacter et interagir avec des rédactions dirigées majoritairement par des hommes. Comment s’affirmer, avoir le bon ton»,témoigne Ans Boersma. A 29 ans, cette journaliste freelance originaire des Pays-Bas est correspondante à Istanbul. Installée depuis une année, elle travaille notamment pour le Het Financieele Dagblad.
Il y a quelques mois, rencontrant des difficultés dans ses échanges avec plusieurs rédactions, la jeune femme a décidé de faire appel à la Coalition for Women in Journalism. L’initiative lancée l’année dernière se présente comme la grande sœur des femmes journalistes en proposant un programme gratuit de mentorat. Cet accompagnement s’adresse d’abord aux professionnelles ayant un peu de pratique, mais chacune est libre de contacter l’organisation.
En quoi consiste ce programme? Les journalistes contactent l’organisation via son site internet. Par la suite, elles sont mises en lien avec une collègue plus expérimentée qui exerce dans le même pays, et si possible, au sein du même domaine journalistique. «Les mentorats sont là pour répondre à des problématiques différentes qui vont d’une impression de stagnation professionnelle à des thématiques plus sensibles comme le harcèlement, la discrimination sexuelle ou raciale», explique Megan Clement, rédactrice en chef deWomen’s Advancement Deeplyet mentor au sein de la CfWiJ.
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Pour Ans Boersma, qui retrouve régulièrement sa coach – Kiran Nazish, par ailleurs co-fondatrice de la coalition – autour d’un café, le mentorat est un réel soutien. «Elle m’aide aussi à trouver ma place en tant que freelance. Nous avons fait des plans concrets, c’est juste super de pouvoir parler à quelqu’un qui a eu des expériences similaires et le recul nécessaire.»
Impression de stagner, de ne pas réussir à percer: la coalition est notamment née du constat que de nombreuses femmes journalistes atteignent un jour ce stade dans leur carrière. «Quand je suis arrivée en Turquie il y a un an, il y avait le référendum, et donc beaucoup de travail. Tout allait bien, je vivais les meilleurs moments de ma vie. Quand septembre est arrivé, je me suis sentie un peu perdue. Je ne voyais pas autant de progrès dans ma carrière que je l’aurais voulu. J’avais quelques soucis avec des journaux pour lesquels je travaillais. J’ai entendu parler de la coalition et les ai contactées. J’avais vraiment besoin de quelqu’un à qui parler de ce que je vivais», se souvient la correspondante en Turquie.
Selon Ans Boersma et Megan Clement, les femmes journalistes se sentent souvent sous-estimées ou incomprises par leurs supérieurs hiérarchiques masculins. Isolées, c’est dans ce genre de moments qu’elles sont tentées de changer d’orientation. Mais la coalition est aussi là pour intervenir en cas de problèmes plus graves. Si le mouvement MeToo a contribué à délier les langues au sujet du harcèlement sexuel et autres démonstrations d’irrespect envers la gent féminine en milieu professionnel, les témoignages de femmes journalistes ont afflué et affluent encore. Il n’y a qu’à jeter un œil à la page Facebook «Payetonjournal» pour se rendre compte que la lutte ne fait que commencer.
La CfWiJ est un premier pas concret, encore faut-il que les forces s’unissent: «Nous avons besoin que les hommes s’impliquent. Nous devons engager une discussion commune pour aller au-delà du système patriarcal au sein duquel le journalisme s’est développé», conclut Megan Clement, l’air grave. Justement, ces derniers sont fortement encouragés à devenir mentors.
Pour l’écriture inclusive
Par Ann-Christin Nöchel & Maude Jaquet
Soutenir les carrières féminines au sein des rédactions, c’est aussi libérer une parole encore trop étouffée par la société patriarcale. Car il est impossible de parler de journalisme et de genre sans évoquer la prépondérance du langage dans la construction des rapports entre hommes et femmes.
«Il est important que les jeunes femmes se saisissent de ces enjeux, car celles qui entendent aujourd’hui ce message seront peut-être à la tête de journaux demain», affirme Giulia Blasi. Cette journaliste, également écrivaine, a lancé en 2017 le mouvement #quellavoltache, qualifié d’équivalent italien du mouvement #metoo. «Le changement culturel passe par un cercle vertueux, qui relie la narration, le changement et le langage. Les grands médias sont responsables de la narration du monde», déclare-t-elle. L’impact des journalistes est d’autant plus grand qu’ils sont continuellement appelés à «faire des choix de vocabulaire qui influencent et orientent le regard du public.»
L’écriture épicène, qui propose de décliner systématiquement les deux genres, paraît souvent rébarbative. Elle n’est heureusement pas la seule voie vers une langue plus inclusive. «Le changement doit être porté par le message, pas forcément par la forme», précise la journaliste. Militer pour plus d’égalité peut se traduire par l’introduction systématique de la fonction de présidente, encore ignorée par l’Académie française. Ou par l’éviction du terme crime passionnel des comptes rendus d’assassinats, «parce qu’on ne tue pas par amour». Des engagements concrets qui devraient réconcilier les amoureux des belles plumes avec l’écriture inclusive.
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