Rémy Chételat, rédacteur en chef depuis quinze ans.

Actuel – 02.10.2023

« Un pur produit du terroir »

Le Quotidien Jurassien revendique son indépendance et fête ses 30 ans en toute sérénité. Le journal s’appuie sur une forte pénétration dans sa région et une proximité qui est son atout.

Par Jean-Luc Wenger, Photo: Stéphane Gerber/Agence Photo Presse Bist

Début juin de cette année, Le Quotidien Jurassien sortait un supplément historique pour fêter son trentième anniversaire. Trente ans, cela semble peu mais l’histoire du journal est pourtant fort riche. Le QJ n’avait pas pu célébrer les 25 ans de la publication, 2018 étant l’année de la faillite de Publicitas, le journal a perdu plus de 1 million de francs, lui qui affermait toutes ses publicités au géant de l’époque.

Le 1er juin 1993, une bombe médiatico-politique éclate dans le Jura : « Le Démocrate » à Delémont et « Le Pays » à Porrentruy fusionnent. Le premier, né en 1877, défend une ligne libérale radicale, le second, créé en 1873, ­est d’obédience catholique conservateur. « C’était la guerre entre ces deux titres », se souvient Rémy Chételat, le ­rédacteur en chef qui a « 36 ans de maison ».

Sous la houlette de feu Michel Voisard, patron du ­« Démocrate » et père de l’actuel éditeur du QJ, le projet avait été tenu secret. Ce n’est que la veille que les deux quotidiens ennemis ont annoncé la nouvelle. Les circonstances s’y prêtaient : le lectorat s’amenuisait, les revenus publicitaires ne cessaient de baisser et la rotative du « Pays » était en bout de course. Michel Voisard et Pierre-André Chapatte, directeur et rédacteur en chef du Pays puis du QJ, tenaient à une alliance jurassienne, ils souhaitaient que le QJ reste une affaire régionale plutôt que de céder aux sirènes des grands groupes de presse.

Belle solidarité

Le titre a connu deux crises majeures. La première en 2008-09. Les soubresauts de la crise financière mondiale ont fait subir une forte érosion de la publicité. De plus, un lourd investissement de 10 millions pour une nouvelle rotative était planifié. Puis vient 2018 et la disparition soudaine de Publicitas. Pour pallier un manque à gagner de 1,1 million, l’entreprise bénéficie d’une recapitalisation grâce à deux fondations jurassiennes d’aide à l’économie régionale. Les lecteurs et abonnés ont aussi témoigné de leur attachement et les entrepreneurs ont joué le jeu des annonces. « Je crois que ces difficultés ont fait comprendre aux Jurassiens que nous ne sommes pas comme l’Eglise ou le Canton mais bien une entreprise », note Rémy Chételat.

En mars 2022, le journal lance un site Internet pour faire de l’info en continu en plus de l’édition quotidienne, « nous avons étoffé la rédaction, un journaliste ne peut pas tout faire et nous ne voulons pas nuire à la qualité du papier ». Rémy Chételat s’étonne encore du succès qu’a pu connaître une affaire de chevaux des Franches-Montagnes. Oui, les sujets régionaux originaux marchent bien.

Les petits poucets

Aujourd’hui, Rémy Chételat, rédacteur en chef depuis quinze ans, se félicite que l’actuel éditeur, Sébastien Voisard, ait compris que « pour faire un journal, il faut des journalistes. C’est confortable de travailler dans de bonnes conditions ». Sébastien Voisard explique que pour lancer le site Internet, le QJ a fait appel au programme Table Stakes Europe qui accompagne la presse locale et régionale dans la transition numérique. « Nous avons été coachés durant 2 ans selon une méthode adaptée aux journaux régionaux. Evidemment, notre première question a été : par où commencer ? », se souvient l’éditeur. Assez fier d’avoir été le premier média suisse ­à s’appuyer sur cet outil et ce précieux suivi. Rémy ­Chételat complète ; « Nous étions les petits poucets ­de l’équipe qui comptait ‹ Le Parisien › ou encore ‹ Le Télégramme › (18 éditions). »

Disposant de bureaux sur quatre sites, Le Quotidien Jurassien, imprimé chez Pressor (société sœur) à Delémont, dans un bâtiment à côté de celui de la rédaction principale, emploie une trentaine de journalistes et une centaine de personnes au total.

Pour une aide indirecte

Quant aux enjeux des élections fédérales du 22 octobre, campagne est molle au cœur de la canicule, même si le ministre Jacques Gerber (PLR) s’est allié à l’UDC pour briguer un siège au Conseil des Etats. Viserait-il la place de Charles Juillard (PDC devenu Le Centre) ? Une autre ministre, Nathalie Barthoulot (PS) se verrait bien succéder à la récente élue conseillère ­fédérale Elisabeth Baume-Schneider. Deux autres gros sujets vont animer les pages du QJ ces prochains temps. L’entrée de Moutier dans le canton du Jura le 1er janvier 2026 tout d’abord.

Sébastien Voisard suivra très attentivement les ­débats suscités à Berne par l’initiative de la conseillère nationale fribourgeoise Christine Bulliard-Marbach (Centre) qui demande une augmentation de l’aide indirecte à la presse, aux journaux régionaux en particulier. Cette aide à la distribution est indispensable selon Sébastien Voisard, également membre du comité de Médias suisses.

Toute la distribution du QJ passe par La Poste, même si kiosques et cafés sont livrés aux aurores, les ménages le reçoivent « dans la matinée… ». L’éditeur relève qu’un journal comme le QJ subit une double peine. « D’un côté, La Poste augmente ses prix, de l’autre la subvention pour un exemplaire baisse de 29 à 26 centimes. Cela représente pour nous un coût supplémentaire annuel de 250 000 francs en 2023 par rapport à 2021 », détaille Sébastien Voisard qui espère que l’intervention de Christine Bulliard-Marbach contribue à augmenter notablement l’aide fédérale.

Taquin, Rémy Chételat se demande si La Poste n’a pas un plan caché pour supprimer des tournées de distribution faute de clients. Autre sujet chaud-bouillant qui occupe et occupera la rédaction pendant longtemps : le projet pilote de géothermie profonde dans ­la commune de Haute-Sorne. Un thème hautement émotionnel qui prend un cours « hyper-compliqué », ­relève le rédacteur en chef. « C’est difficile à traiter, nous ­devons peser chaque mot, la rédaction reçoit des pressions. Mais nous devons faire la part des choses et donner la parole aux deux camps. »


En chiffres

« Le Quotidien Jurassien » recense 41 000 lecteurs avec un tirage de 16 973 exemplaires, selon l’enquête REMP MACH Basic de 2023-1. Le taux de pénétration du journal régional impressionne : deux-tiers des foyers jurassiens sont abonnés et près de 80 % des habitants du canton le lit, selon une enquête de M.I.S Trend en 2021. L’institut REMP lui attribue par ailleurs la mention du « plus haut taux de confiance ­des journaux en Suisse » avec 90,6 % des personnes interrogées ! Aujourd’hui, « Le Quotidien Jurassien » compte un peu plus de 14 000 abonnés annuellement, 80 % en version papier, 13 % en version premium (papier + numérique) et 7 % en version numérique seule.


Proximité chérie

Farouchement indépendant, fait par des Jurassiens pour des Jurassiens, le QJ se veut proche de ses lecteurs. Il propose ainsi tous les vendredis, une rubrique écrite en patois. Celle du 18 août dernier s’intitulait « Tchaintaidge ». En voici son amorce : « Ci Piarrot ainm’rai bïn dyaingnie quéques sôs. Son aurdgent d’baigatte ne yi seuffit pus. » Compris ?

Autre initiative qui favorise la proximité, un appel aux lecteurs d’envoyer des photos anciennes. « Cela crée du lien. Une image d’une classe d’écolier des années quarantes suscite des commentaires sur le collège, par exemple, et amène d’autres histoires », se réjouit Rémy Chételat.

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