Depuis deux ans, le Comptoir des médias de Vivre Ensemble recense les erreurs et perles médiatiques en matière d’asile. Une expérience qui pourrait faire des émules.
Par Alain Maillard
L’idée est venue après la votation sur la révision de la loi sur l’asile, en juin 2013. Pendant la campagne, l’association Vivre Ensemble, à Genève, avait tenté d’intervenir dans le débat en rectifiant des données inexactes, par exemple sur les demandeurs d’asile récalcitrants.
"Tant de choses fausses avaient été dites, que nous n’avions pas été capables de corriger! Alors nous avons décidé de mettre en place une sorte d’arsenal du fact-checking", explique Sophie Malka, coordinatrice et rédactrice responsable de Vivre Ensemble.
Le "Comptoir des médias", projet de "sensibilisation aux préjugés", est créé à l’automne 2013. Sur son site, on trouve toutes ses interventions auprès des médias romands, avec leurs réponses, ainsi que des dossiers et de bons articles en exemple.
"Nous n’avions aucun modèle, nous avons un peu tâtonné. La manière d’intervenir, par écrit, en suggérant des rectifications, nous en avions l’idée assez vite." Mais comment allaient réagir les médias interpellés? Bilan positif: "A part deux ou trois égo insatisfaits que leur travail soit remis en question, nous avons toujours été extrêmement bien reçus et les erreurs ont été corrigées."
La majorité des interventions du Comptoir sont liées à des dépêches, vite répercutées partout et souvent titrées en forçant le trait. Notamment après les communiqués de presse mensuels du SEM, le Secrétariat d’Etat aux migrations, où il est – ou il était avant l’été – vite question "d’afflux" de requérants. Sophie Malka observe d’ailleurs que "le discours du gouvernement donne le ton. Quand Eduard Gnesa dit qu’on ne peut pas renvoyer les gens en Erythrée, les médias suivent."
La démarche a donc "du sens". Sophie Malka et Cristina Del Biaggio, cheffe de projet (poste à 40 pour cent), rencontrent des rédactions, donnent des exemples d’erreurs. Souvent, il s’agit de mieux décrypter les chiffres. Comprendre la différence, par exemple, entre le taux de reconnaissance (asile accordé, sans déduction des NEM – non-entrées en matière) et le taux de protection (qui inclut l’admission provisoire).
"Le rédacteur en chef de "20 Minutes" nous a invité à revenir faire un petit cours sur les procédures d’asile. Pour nous c’est parfait, notre objectif étant d’être dans une démarche constructive et préventive." Du coup, des journalistes les sollicitent pour rencontrer des demandeurs d’asile ou des intervenants de terrain.
Ne leur a-t-on jamais reproché une lecture partisane de la réalité? "Nous sommes toujours accusés d’être des gauchistes, alors maintenant nous faisons pencher la balance de l’autre côté", leur a expliqué un journaliste de la RTS interpellé à propos d’une infographie.
Au "Matin", l’échange a été fructueux mais le journal, leur a-t-on dit, a son public, sa ligne éditoriale et ne va pas en changer – "c’était juste avant que ça ne change…"
Et à quoi a tenu, à leur avis, ce changement d’attitude des médias? "Il y a eu trois événements, analyse Cristina Del Biaggio. Avant la photo d’Aylan, il y a eu ce camion avec 71 morts en Autriche (26 août). Mais je pense que le premier déclencheur, ce furent les images d’enfants à la frontière de Macédoine.
Avant, on voyait surtout des bateaux en Méditerranée avec des Africains seuls, des hommes qui dans l’imaginaire européen font peur, dont on perçoit moins les motifs d’asile. Une famille syrienne ne peut être perçue que comme une famille de "vrais réfugiés". Le discours a changé parce que le personnage archétypique a changé. Mais il peut vite changer à nouveau dans l’autre sens."
Le Comptoir des médias espère que son exemple sera suivi en Suisse alémanique. Il va intervenir dans la formation des journalistes, à l’AJM. Et il compte sur des veilleurs volontaires pour lui signaler les imprécisions médiatiques.
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